Quelle politique macroéconomique pour résoudre la crise climatique et environnementale ? Le passage d’une économie instable à une économie keynésienne d’investissement conduisant à la stabilisation de l’économie dans un système de post-croissance

Auteur : Antonin Arlandis

Comme le suggèrent certaines récentes études, l’humanité est à un tournant historique : elle peut soit s’autodétruire et s’éteindre si elle n’arrive pas à résoudre la crise climatique et environnementale soit s’en sortir si elle arrive à réaliser de grands progrès économiques, sociaux et démocratiques dans les quelques années qui arrivent. Cette note s’appuie sur une revue de la littérature économique et sur des analyses statistiques et économétriques afin d’essayer de dresser les grands axes d’une politique macro-économique qui permettrait de résoudre certains conflits qui existent entre le développement économique et la dégradation de l’environnement. Cette note vise à mettre en exergue les grandes lignes d’une politique macro-économique qui pourrait aider à résoudre la crise environnementale.

Cette étude s’articule en quatre parties. La première partie expose les différentes visions de la résolution de la crise climatique qui existent dans la littérature économique. La deuxième partie présente plusieurs études qui laissent suggérer que la croissance économique pourrait s’arrêter au milieu du siècle actuel. La troisième partie met en exergue deux leviers pouvant notamment être activés afin de faire rentrer l’économie dans les limites planétaires et la rendre neutre en carbone : la hausse du découplage (à travers l’investissement et la transformation de l’économie) et la modération progressive de la croissance. La quatrième partie de cette étude présente les deux principales phases de la transition écologique : (i) la phase d’investissement et de transformation de l’économie et, (ii) la phase d’atterrissage de l’économie dans une situation de post-croissance.

  1. Les différentes visions de la résolution de la crise climatique qui existent dans la littérature économique

Dans la littérature économique, il existe plusieurs visions des relations qui existent entre la dégradation de la planète par l’activité humaine et le développement économique. Ces études tentent d’apporter des réponses en matière de politique économique au problème du réchauffement climatique et de la dégradation de l’environnement. Le premier courant est celui de la vision de type coût-efficacité, défendue notamment par William Nordhaus qui consiste à tester les coûts associés à différents objectifs de stabilisation de la concentration des gaz à effet de serre notamment et à les comparer aux dommages générés par la hausse des émissions de gaz à effet de serre.

Au début des années 1980, William Nordhaus proposa une analyse coût-bénéfice du changement climatique en équilibre partiel avec d’un côté des coûts de réduction et de l’autre des bénéfices, mais pas de rétroaction de l’un sur l’autre. Il tâtonne pendant toute cette décennie : chaque modèle successif montre une extension des facteurs économiques pris en compte, jusqu’au modèle final qui présente un monde clos, où toutes les quantités sont soumises aux lois des processus économiques, où tout ou presque devient endogène. Ce modèle, dit DICE pour Dynamic Integrated Model of Climate and the Economy, devient au cours des années 1990 le modèle canonique de l’évaluation intégrée du changement climatique (Pottier, 2016). Pour choisir les objectifs, William Nordhaus est obligé de faire appel à son jugement au regard de la connaissance acquise sur le fonctionnement du climat. Il juge donc que le doublement de la concentration de CO2 (ce qui correspond à environ 550 ppm) est certainement une borne à ne pas dépasser car elle conduirait à faire sortir les températures des variations connues.

La vision de type coût-efficacité qui a tendance à promouvoir une action modérée des pouvoirs publics pour ne pas générer trop de dommages à l’économie de marché. De nombreux auteurs adeptes de l’approche coût-efficacité s’appuyant sur les modèles d’évaluation intégrée ont tendance à nettement sous-estimer les dégâts qui seront occasionnés par le changement climatique et la dégradation de l’environnement. Par exemple dans la version 2017 du modèle DICE de William Nordhaus qui utilise des estimations de dommages d’autres chercheurs, la perte équivalente de PIB estimée pour un réchauffement de 3°C est de seulement 2,1%.

Les défenseurs d’une action modérée en faveur du climat affirment que même s’il existe des effets néfastes sur l’économie générés par le changement climatique, ils ne sont pas suffisamment importants pour nécessiter des investissements dont les coûts seraient très élevés. Nicholas Stern & Joseph Stiglitz (2023) estiment que cet argument est particulièrement peu convaincant étant donné les preuves scientifiques accablantes relatives à l’ampleur des dommages et de la destruction des vies et des moyens de subsistance qui seraient générés par la poursuite de l’utilisation des combustibles fossiles.

Nicholas Stern, Joseph Stiglitz & Charlotte Taylor (2022) estiment que la méthodologie particulière employée dans le cadre des modèles d’évaluation intégrés (tels que le modèle DICE de William Nordhaus), qui sont aujourd’hui les modèles qui dominent la littérature économique, présente de sérieuses lacunes, qui deviennent particulièrement pertinentes lorsqu’on confronte ces modèles aux réalités et aux risques immenses générés par le changement climatique.

Steve Keen (2023) considère que l’analyse économique relative au changement climatique est un sujet interdisciplinaire, mais les articles sur les dommages économiques générés par le changement climatique dans les modèles d’évaluation intégrés ont été estimés par des économistes uniquement. Pour arbitrer correctement ces articles, il fallait disposer de connaissances scientifiques sur le réchauffement climatique que les économistes ne possédaient généralement pas. Par conséquent, les arbitres ont approuvé la publication d’articles qui contenaient des affirmations sur le réchauffement climatique en contradiction flagrante avec la littérature scientifique.

Dans le cadre d’une étude publiée en 2022 dans la revue scientifique PNAS, plusieurs auteurs  (Luke Kemp, Chi Xu, Joanna Depledge, Kristie L. Ebi, Goodwin Gibbins, Timothy A. Kohler, Johan Rockström, Marten Scheffer, Hans Joachim Schellnhuber, Will Steffen, & Timothy M. Lenton) rattachés notamment à l’université de Cambridge et au MIT, estiment que le changement climatique peut aller jusqu’à générer l’effondrement de la société voire même l’extinction de l’humanité et que la plupart des études n’examinent pas ces sujets de façon sérieuse.

Ces auteurs considèrent que les crises mondiales ont tendance à se produire par le biais de telles « défaillances synchrones » qui se renforcent et se propagent à travers les pays et les systèmes, comme ce fut le cas dans le cas de la crise financière de 2007-2008. Il est plausible qu’un changement soudain de climat puisse déclencher des défaillances systémiques qui déstabilisent les sociétés du monde entier. Les sociétés humaines présentent des vulnérabilités aux cascades de risques déclenchées par le changement climatique, comme les conflits (y compris nucléaires), l’instabilité politique et les risques financiers systémiques. Les impacts en cascade et les conséquences extrêmes de la forte hausse des températures sont sous-examinés dans la littérature. Selon ces auteurs, il existe peu d’estimations quantitatives des impacts globaux d’un réchauffement de 3 °C ou plus. Ces auteurs constatent que le GIEC tend à concentrer ses recherches sur les impacts générés par une augmentation de la température de 2 °C ou moins.

D’après Stern & Stiglitz (2023) le risque climatique est un risque systémique, et la crise de 2008 a montré que le marché n’évalue pas correctement les risques systémiques. Dans une économie en réseau, la détermination du risque systémique nécessite de nombreux calculs et les données nécessaires à la réalisation de ces calculs ne sont actuellement pas disponibles (Ranger et al., 2021). Ces effets systémiques sont aussi en partie liés aux défaillances du marché qui vont au-delà du changement climatique selon Stern & Stiglitz (2023).

Certains défenseurs de l’économie de marché, confronté à la réalité de l’impact du changement climatique reconnaissent à présent l’existence de défaillances du marché, et un nombre croissant d’entre eux estiment qu’il est nécessaire de les atténuer ou de corriger ces externalités. Robert Pindyck qui avait évalué dans un article publié en 2019 la perte équivalente de PIB correspondant à un réchauffement de 3°C à seulement 10% sur la base de dires d’experts estime à présent dans le cadre d’un livre publié en 2022 que les efforts actuels et prévus par les gouvernements sont nettement inférieurs à ceux nécessaires pour enrayer le changement climatique dont les coûts sociaux et économiques sont difficiles à prévoir et à estimer.

A l’opposé des auteurs qui recommandent une action trop modérée vis-à-vis de la crise environnementale, certains auteurs préconisent de mettre en place des solutions consistant à sortir de la croissance économique. Au sein de ce courant de la post-croissance / décroissance, il existe toutefois des disparités.

Selon Louison Cahen-Fourot & Antoine Monserand (2023), le terme de post-croissance renvoie à une société émancipée de la nécessité de faire croître son économie afin d’assurer la stabilité socio-politique et le bien-être individuel et collectif. Dans un article de 2021, Jason Hickel, Paul Brockway, Giorgos Kallis, Lorenz Keyßer, Manfred Lenzen, Aljoša Slameršak, Julia Steinberger & Diana Ürge-Vorsatz conseillent aux pays ayant des économies avancées d’adopter des politiques de post-croissance, qui visent à stabiliser l’économie tout en améliorant la situation sociale sans croissance économique.

Dans la littérature sur la décroissance, certains auteurs indiquent que la décroissance n’est pas de la récession. C’est le cas notamment d’une étude de Jason Hickel, Giorgos Kallis, Tim Jackson, Daniel O’Neill, Juliet Schor, Julia Steinberger, Peter Victor & Diana Ürge-Vorsatz (2022). Dans ce cas, post-croissance et décroissance sont des synonymes.

Selon ces auteurs, les économies avancées devraient abandonner l’objectif de croissance du PIB, réduire les formes de production destructives et inutiles afin de diminuer l’utilisation d’énergie et de matériaux, et axer l’activité économique sur la satisfaction des besoins et sur le bien-être humain. Selon eux, cette approche peut permettre une décarbonisation rapide et mettre fin à la dégradation de l’environnement tout en améliorant les résultats sur le plan social. Cette approche laisse de l’espace aux pays dans lesquels le PIB est faible ou intermédiaire et où la croissance peut s’avérer encore nécessaire afin de leur permettre de se développer. Dans cette optique il est nécessaire :

  • De réduire la production la moins nécessaire. Cela signifie qu’il faut réduire les secteurs destructeurs tels que les combustibles fossiles, la viande et les produits laitiers, la mode rapide, la publicité, les voitures et l’aviation, y compris les jets privés. Dans le même temps, il faut mettre un terme à l’obsolescence programmée des produits, allonger leur durée de vie et de réduire le pouvoir d’achat des plus riches.
  • D’améliorer les services publics. Il convient de garantir l’accès universel aux soins, à l’éducation, au logement, aux transports, à internet, aux énergies renouvelables et aux aliments nutritifs de qualité. Ces services publics universels ne nécessitent pas de forte utilisation des ressources.
  • D’introduire une garantie pour les emplois verts. Cela permettrait de former et de mobiliser la main-d’œuvre autour d’objectifs sociaux et écologiques urgents, tels que l’installation d’énergies renouvelables, la rénovation des bâtiments, la régénération des écosystèmes et l’amélioration des soins sociaux.
  • De réduire le temps de travail. Cela pourrait être en abaissant l’âge de la retraite en encourageant le travail à temps partiel ou en adoptant semaine de quatre jours. Ces mesures permettraient de réduire les émissions de carbone et de libérer du temps permettant aux individus de s’engager dans des activités de soins et d’amélioration du bien-être. Ces mesures permettraient également de stabiliser l’emploi à mesure que la production la moins nécessaire diminue.

Dans la littérature sur la décroissance il y a également des auteurs qui estiment que la décroissance doit se traduire par une légère récession dans les pays avancés (voir Fontana & Sawyer, 2022)[2]. D’autres auteurs précisent que la décroissance n’est pas de la récession mais qui font des propositions qui vont inévitablement engendrer de la récession (les auteurs qui indiquent qu’une baisse de la production et de la consommation sont nécessaires) si un gouvernement décidait de mettre en place de telles mesures.

Timothée Parrique (2022) définit la décroissance comme la réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et de bien-être. La décroissance jusqu’où ? Réponse : vers la post-croissance, une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. Toutefois, dans l’équation basique en macroéconomie, la production (Y ou PIB) est égale à la somme de la consommation (C) de l’investissement (I), des dépenses publiques (G), des exportations (X) diminuée des importations (M). La définition de la décroissance de Timothée Parrique n’est donc pas très claire… On ne sait pas s’il parle de, ralentissement, de découplage de la production et de la consommation ou d’une baisse de ces deux variables (ce qui serait alors bien de la récession) …

2. La croissance va-t-elle s’arrêter ? Quand ça ?

Plusieurs études suggèrent que l’éventualité d’une croissance verte qui se poursuivrait indéfiniment ou du moins pendant encore de nombreuses années est peu probable. Dans un ouvrage paru en 1972 « The limits to growth » des chercheurs du MIT, avaient créé l’un des premier modèles informatiques dynamiques de l’économie mondiale appelé, Word 3. Le but de cette équipe de recherche consistait à explorer toute une gamme de scénarios économiques jusqu’en 2100, en tenant compte de cinq facteurs qui leur semblaient déterminer (et limiter) la croissance de la production : population, production agricole, ressources naturelles, production industrielle et pollution. Selon les estimations de ces auteurs, dans le scénario de statu quo à mesure que la population et la production mondiale augmente, les ressources non renouvelables comme les minerais et les métaux s’épuisent, d’où une chute de la production industrielle et alimentaire ce qui finit par causer une famine, une forte baisse de la population humaine et des niveaux de vie très réduits pour tous.

Kate Raworth (2017) indique que l’analyse des chercheurs du MIT suscita une vive inquiétude quant à l’état de la planète. Les adeptes de l’économie dominante s’empressèrent de tourner ce modèle en dérision, parce qu’il sous estimait la rétroaction équilibrante du prix sur les marchés. Le prix Nobel William Nordhaus notamment s’est montré très critique vis-à-vis de celui-ci, car le modèle World 3, sur lequel il repose, ne comporte pas de fonction de production ni de prix, comme c’est le cas pour les modèles que manipulent habituellement les macro-économistes. Si, pour ces raisons, Nordhaus récusa les inquiétudes exprimées par Meadows et ses collègues quant à la poursuite de la croissance sur le long terme, il nota cependant que la question du changement climatique est nouvelle et mérite une attention particulière.

Selon une étude récente, menée par Gaya Herrington, responsable de la durabilité et de l’analyse des systèmes dynamiques au sein du cabinet comptable KPMG, publiée dans le Yale Journal of Industrial Ecology, les résultats des auteurs du livre « The limits to growth » vivement critiqués à l’époque, s’avèrent en fait très proches de la réalité. Pour obtenir ces résultats, Gaya Herrington et son équipe ont comparé les projections de 1972 avec les données actuelles réelles et tangibles du développement économique et de l’extraction des ressources. Ces auteurs ont pris en compte un ensemble de dix variables clés : la population, les taux de fertilité, les taux de mortalité, la production industrielle par tête (mesurée par la formation brute de capital fixe par tête), la production alimentaire, les services par tête, les ressources non renouvelables, la pollution persistante, le bien-être humain (mesuré par l’indice de développement humain) et l’empreinte écologique.

Gaya Herrington et son équipe estiment que les scénarios prospectifs les plus probables sont ceux appelés « BAU2 » (business-as-usual) et « CT » (comprehensive technology). Les scénarios BAU2 et CT conduisent à un arrêt de la croissance aux alentours de 2040. Les deux scénarios indiquent donc que le maintien du statu quo, c’est-à-dire la poursuite d’une croissance économique continue, n’est pas possible. Même associé à un développement et à une adoption technologique sans précédent, le business as usual tel que modélisé conduirait inévitablement à un déclin du capital industriel, de la production agricole et des niveaux de bien-être au cours de ce siècle. Dans le scénario BAU2, la production industrielle baisse de 85 % entre 2040 et 2100 et la population mondiale s’écroule elle aussi. Dans le scénario CT la production industrielle baisse de 40 % entre 2040 et 2100 et la population mondiale diminue légèrement. Toutefois, les mobilisations sociales et environnementales, la prise de conscience ces dernières années et notamment des jeunes générations sont un facteur d’optimisme pour Gaya Herrington. Il est encore possible d’atteindre le scénario SW (pour sustainable world) dans lequel la production industrielle sera stabilisée aux alentours de 2040 mais plus nous attendons plus nous nous écartons de ce scénario.

William Rees (2023) est encore plus pessimiste. Selon cet auteur, la révolution scientifique et l’utilisation des combustibles fossiles ont réduit de nombreuses formes de rétroaction négative, ce qui a permis à l’humanité de réaliser son plein potentiel de croissance exponentielle. L’augmentation de la population d’un à huit milliards d’habitants et la multiplication par plus de 100 du PIB mondial réel en seulement deux siècles, sur une planète finie, ont propulsé la société techno-industrielle moderne dans un état de dépassement avancé. Les humains consomment et polluent davantage que les limites planétaires ne le permettent. Le changement climatique est le symptôme le plus connu du dépassement, mais les solutions actuelles vont en fait accélérer le dérèglement climatique et aggraver le dépassement.

La croissance se poursuivra jusqu’à ce que la consommation excessive et la dégradation de l’habitat entraînent à nouveau des pénuries alimentaires et la famine, ou que les maladies et les prédateurs fassent leur part. La croissance matérielle et démographique dans des habitats finis est limitée par la disponibilité des intrants essentiels, par la capacité de l’environnement du système à assimiler les sorties, ou par diverses formes de rétroaction négative. L’économie mondiale se contractera inévitablement tandis que la population mondiale sera amenée à fortement diminuer au cours de ce siècle. Seule une minorité d’êtres humains pourront survivre.

Stern & Stiglitz (2023) estiment que la résolution de la crise climatique passera par une action et des investissements en faveur du climat massifs ce qui aura pour conséquence une hausse de la croissance lors des 20-30 prochaines années avant que celle-ci ne s’arrête et que le système économique se stabilise dans une situation de post-croissance. D’après ces auteurs, l’accélération de la transition vers les énergies renouvelables dont le coût est moindre peut elle-même être à l’origine non seulement d’une forte baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’une accélération de la croissance lors des deux prochaines décennies. Par ailleurs, étant donné que les ressources énergétiques renouvelables seront mieux réparties que les combustibles fossiles, la transition écologique contribuera à renforcer l’équité et la sécurité à l’échelle mondiale, même si cela nécessite de minimiser les impacts négatifs de l’extraction de nouvelles ressources, nécessaires au déploiement à grande échelle d’un système d’énergie renouvelable.

Vaclav Smil (2019) considère que la croissance doit s’arrêter afin que l’humanité puisse survivre et que les économistes ne semblent pas s’en rendre compte. Sans une biosphère en bon état, il n’y a pas de vie sur terre. Beaucoup d’économistes estiment qu’il est possible de découpler entièrement la croissance de la consommation de matériaux, mais c’est un non-sens total selon Vaclav Smil.

Hickel & Kallis (2020), s’opposent à « la théorie de la croissance verte » qui estime que l’expansion économique continue est compatible avec les limites planétaires, car l’évolution technologique et la substitution permettront de découpler entièrement la croissance du PIB de l’utilisation des ressources et des émissions de gaz à effet de serre. Ces auteurs considèrent que les preuves empiriques concernant l’utilisation des ressources et des émissions de CO2 ne soutiennent pas la théorie de la croissance verte et qu’il n’existe aucune preuve empirique que le découplage absolu de l’utilisation des ressources puisse être réalisé à l’échelle mondiale dans un contexte de croissance économique continue. Selon ces auteurs, il est très peu probable que le découplage entre le PIB et les émissions de gaz à effet de serre soit réalisé à un rythme suffisamment rapide pour empêcher le réchauffement climatique de dépasser la limite de 1,5°C ou 2°C, même dans des conditions politiques optimistes.

Selon Tim Jackson (2017), il est pratiquement impossible d’envisager des scénarios viables d’atténuation du réchauffement climatique dans lesquels la croissance du PIB se poursuivrait indéfiniment. Il existe de nombreuses preuves que l’intensité en carbone du PIB mondial a diminué de plus d’un tiers depuis le milieu des années 1960. Ce type de découplage relatif ne suffit toutefois pas à lui seul de permettre à la croissance du PIB de se poursuivre éternellement selon l’analyse de Tim Jackson (2021).

Selon Joachim Peter Tilsted, Anders Bjørn, Guillaume Majeau-Bettez & Jens Friis Lund (2021), le rythme de découplage entre la croissance du PIB et les émissions de carbone dans les pays plus performants (les pays nordiques, dont le Danemark notamment), reste à l’heure actuelle insuffisant pour leur permettre d’atteindre une « véritable croissance verte ». Ces auteurs démontrent que l’objectif de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C exige des taux de décarbonisation sans précédent que même les pays nordiques n’ont pas encore réussi à atteindre.

3. Pour faire rentrer l’économie dans les limites planétaires et la rendre neutre en carbone il faut notamment activer deux leviers : la hausse du découplage et la modération progressive de la croissance

Selon une étude réalisée par le cabinet IDH21, l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de -55% en 2030 par rapport aux émissions de 1990 que s’est fixée l’Union Européenne et la stratégie du Pacte Vert Européen associé, requiert un découplage absolu entre les émissions de gaz à effet de serre et la croissance du PIB dans la durée, c’est-à-dire une croissance du PIB combinée à une réduction significative des émissions. Une littérature scientifique déjà abondante a montré qu’un tel découplage avait été très rarement observé, et même jamais dans le cas de pays avec des économies matures tels que les pays de l’Ouest de l’Europe.

Le cabinet IDH21 analyse en détail les raisons de cette absence de découplage avec les cas spécifiques de l’Union Européenne des 28, et des 10 pays les plus émetteurs en faisant partie, en se concentrant sur 3 périodes temporelles spécifiques : 1990-2006, 2007-2014 et 2015-2018. Ce découpage permet de montrer que seule la période 2007-2014 présente une diminution significative des émissions de CO2. Cette diminution sur 8 ans représente plus de 80% de la diminution des émissions depuis 1990. Cette période correspond également à la période avec la croissance du PIB la plus faible.

L’analyse du cabinet IDH21 montre que la croissance du PIB par habitant joue un rôle de frein sur la réduction des émissions entrainée par les réductions de l’intensité énergétique du PIB et du contenu en CO2 de l’énergie. Ces 2 facteurs ont aujourd’hui un impact trop faible pour permettre d’atteindre l’objectif que s’est fixé l’Union européenne pour 2030, impact d’autant plus amoindri dès que la croissance du PIB dépasse 1%. Il faudrait concrètement que l’impact sur la diminution des émissions de CO2 de l’intensité énergétique du PIB soit multiplié par 3 par rapport à son niveau des 30 dernières années. L’ensemble des résultats présentés dans cette étude mettent en doute la stratégie actuellement appliquée par l’Union Européenne, et suggèrent qu’il est nécessaire de revoir plus en profondeur notre système socio-économique. C’est aujourd’hui la condition nécessaire à l’atteinte d’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui permettrait d’espérer maintenir le réchauffement climatique en dessous de +2°C.

Schroder & Storm (2020), constatent que la réduction des émissions de gaz à effets de serre conformément à l’objectif de 2°C n’est possible (dans des hypothèses optimistes) que si la croissance mondiale du PIB par habitant est inférieure à 0,45 % par an. Jason Hickel & Giorgos Kallis (2020) estiment que cette conclusion ne s’applique toutefois pas à l’objectif de 1,5 °C. Pour ces auteurs, les réductions d’émissions de gaz à effet de serre conformes à l’objectif de 1,5 °C ne sont pas empiriquement réalisables, sauf dans un scénario de décroissance.

Jason Hickel, Giorgos Kallis, Tim Jackson, Daniel O’Neill, Juliet Schor, Julia Steinberger, Peter Victor & Diana Ürge-Vorsatz, (2022), estiment que « l’expérience des pays qui ont dû s’adapter à des conditions de faible croissance, comme Cuba après la chute de l’Union soviétique et le Japon, sont riches d’enseignements. ». L’analyse du Japon montre bien qu’il n’y a quasiment plus de croissance économique dans ce pays. Cependant, les émissions de gaz à effet de serre ne baissent quasiment pas au Japon (seulement -0,2% par an en moyenne sur la période 2009-2019). En Italie, il n’y a plus de croissance non plus et les émissions de gaz à effet de serre baissent plus fortement qu’au Japon (-2,2% par an en moyenne sur la période 2009-2019). Au Danemark et au Royaume-Uni, la croissance du PIB est toujours positive et supérieure à celle du Japon et de l’Italie alors que ces deux pays expérimentent des baisses d’émissions de gaz à effet de serre supérieures (-4,7% pour le Danemark et -2,9% pour le Royaume-Uni par an en moyenne sur la période 2009-2019).

Il existe donc des situations dans lesquelles la croissance verte peut donner de moins bons résultats que l’absence de croissance en matière de décarbonation de l’économie et inversement des situations dans lesquelles la croissance verte peut donner de meilleurs résultats que l’absence de croissance.

Il existe une relation économétrique positive entre le PIB et les émissions de gaz à effet de serre. La baisse du PIB ou sa modération de la croissance occasionne bien une diminution des émissions de gaz à effet de serre ou une modération. Une simple régression économétrique en données de panel pour un panel de 10 économies avancées (France, Royaume-Uni, Japon, Italie, États-Unis, Allemagne, Canada, Suède, Danemark, Pays-Bas) suggère qu’entre 1990 et 2019, une baisse (hausse) de 1 % de PIB occasionne en moyenne une baisse (hausse) de 0,2 % des émissions de gaz à effet de serre.

Une étude du FMI (2018) examine la question du découplage entre les émissions de gaz à effet de serre et l’activité économique. Les auteurs (Cohen, Tovar Jalles, Loungani & Marto) réalisent plusieurs estimations économétriques, pour les 20 principaux pays émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre. Cette étude suggère que l’élasticité des émissions de gaz à effet de serre au PIB est positive pour tous les pays, avec une moyenne de 0,6. Entre 1990 et 2014, la croissance de la production et des émissions est clairement très corrélée. Dans les économies avancées l’élasticité des émissions de gaz à effet de serre au PIB est de 0,3 en moyenne.

Les auteurs de cette étude décomposent ensuite la croissance des émissions et du PIB réel en leurs composantes tendancielles et cycliques afin d’estimer les élasticités des émissions de gaz à effet de serre au PIB (et de la consommation) de chacune des deux composantes. Les résultats économétriques montrent que les émissions de gaz à effet de serre sont procycliques : l’estimation de l’élasticité cyclique est positive pour l’ensemble des pays étudiés. L’élasticité moyenne est de 0,5 et les estimations sont statistiquement significatives dans tous les cas sauf pour quatre pays (Australie, Arabie saoudite, Allemagne et Brésil). Les différences entre les économies avancés et émergentes ne sont pas importantes : l’élasticité moyenne est de 0,6 pour les économies avancées et de 0,4 pour les économies émergentes.

Pour les vingt plus grands émetteurs, l’élasticité tendancielle moyenne, qui correspond à la réponse des émissions tendancielles à une variation de 1 % du PIB tendanciel, est de 0,4. Les élasticités tendancielles sont comprises entre -0,6 à 1,2. Pour les économies avancées, l’élasticité est en moyenne nulle ; certains pays ont des élasticités négatives, ce qui indique que ces pays ont réalisé des progrès dans le découplage de leurs émissions tendancielles par rapport au PIB tendanciel.

Selon le Haut Conseil pour le Climat (2022), les émissions territoriales de la France ont diminué de 1,7 % par en moyenne entre 2010 et 2019. Une baisse des émissions de 4,7 % en moyenne sur la période 2022-2030 est nécessaire si la France veut respecter l’objectif fixé par l’Union Européenne de réduire ses émissions nett­es de 55 % en 2030 par rapport à 1990.

Certains auteurs qui soutiennent que la décroissance qu’ils proposent n’est pas de la récession n’ont pas fait le travail inverse qui consiste à estimer quelle serait la variation du PIB nécessaire dans les pays avancés pour respecter les accords de Paris si le découplage ne progressait pas ou quasiment pas… Par ailleurs, plusieurs analyses ne tiennent pas compte de la réalité selon laquelle la baisse de la croissance dans les économies avancées se traduit également par une baisse de la croissance dans les économies émergentes.

Si comme le soutiennent Schroder & Storm (2020), il convient de limiter la croissance mondiale du PIB par habitant à 0,45 % par an ou à un niveau encoure inférieur à celui-ci comme le suggèrent Hickel & Kallis (2020), les pays émergents ne pourront jamais rattraper le niveau de vie par habitant des pays avancés d’ici à 2040 et même après. Avec une croissance du PIB par habitant mondiale de 0,45 % par an, pour qu’il n’y ait pas de baisse du PIB par habitant dans les économies avancées, la croissance du PIB par habitant moyenne maximale dans les économies émergentes serait de 2,5%. Le rapport entre le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat des économies avancées et celui des économies émergentes qui est de 4,4 en 2022 passerait à 2,9 en 2040.

Par ailleurs la vision de la résolution de la crise climatique s’appuyant principalement sur le levier modération / arrêt de la croissance sous-estime l’impact économique et social que vont et doivent avoir les investissements massifs et nécessaires à la transition vers une économie bas carbone qui vont permettre de rendre l’économie sobre en carbone comme le suggèrent certaines études récentes (rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (2023)).

Selon Stéphane His (2023), l’affirmation selon laquelle le « zéro carbone » en 2050 ne serait pas possible en raison d’un manque de métaux ne résiste pas à l’analyse et est démentie, notamment par l’Agence Internationale de l’Energie. Cette position relève souvent du « discours de l’inaction » climatique, qui ignore les effets nocifs d’un monde à plus de 1,5°C. Toutefois, une absence de sobriété dans les usages, notamment pour les transports, pourrait conduire l’humanité dans des impasses écologiques et sociales.

Stiglitz & Stern (2023), estiment que l’arrêt immédiat de la croissance mondiale n’est ni nécessaire ni suffisant pour permettre d’aboutir à une économie caractérisée par des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles. Les émissions ne peuvent pas être réduites de leurs niveaux très élevés de près de 60 GtCO2 par an, simplement en arrêtant la croissance. L’arrêt de la croissance ne ferait que geler les émissions, à des niveaux très élevés. En outre, une telle politique serait socialement inacceptable, et les réactions relatives à l’arrêt de la croissance pourraient saper l’acceptation des politiques climatiques. L’argument de la croissance égale à zéro détourne l’attention de la question essentielle de la rupture de la relation entre la consommation et la production, d’une part, et la destruction de l’environnement, d’autre part.

Afin de parvenir à cet objectif il convient de consommer et de produire différemment, et bon nombre des technologies nécessaires à cet effet existent déjà. Il est également possible de modifier nos modes de consommation en optant pour des biens et des services plus écologique. Les coûts en termes de bien-être social de ces changements dans les modes de consommation, bien que difficiles à évaluer peuvent être faibles. La jeune génération qui consomme de la nourriture végétarienne ou végétalienne semble prendre autant de plaisir à cuisiner et à manger que l’ancienne génération qui consommait de la viande. Ainsi, une nouvelle forme de croissance peut être créée selon Stiglitz & Stern. En outre, l’investissement et la croissance seront nécessaires pour vaincre la pauvreté dans le monde, progresser vers les objectifs de développement durable et accroître le bien-être dans toutes ses dans toutes ses dimensions, en particulier dans les pays pauvres lors des 20 – 30 prochaines années.

Dire que l’investissement et la croissance sont essentiels dans les deux ou trois prochaines décennies ne signifie pas pour autant soutenir que la croissance doit se poursuivre indéfiniment. Les limites planétaires imposent en effet des contraintes (Rockstrom ̈ et al., 2009). Au cours des deux ou trois prochaines décennies, l’action en faveur du climat devrait contribuer à décarboner l’économie et à réduire la pauvreté. Ensuite, les limites planétaires pourraient bien limiter la croissance (à la fois du PIB et de la population) et devraient déjà être prises en compte dans les réflexions sur les politiques publiques selon Stiglitz & Stern (2023).

À moyen terme, on devrait assister, selon ces auteurs, à un processus schumpétérien d’innovation et de découverte, alors que les entrepreneurs et les inventeurs développent de nouvelles techniques et méthodes, les secteurs à forte intensité carbone seront amenés à disparaitre. Huit forces motrices complémentaires et en interaction les unes avec les autres peuvent générer des effets positifs sur la croissance dans les deux ou trois prochaines décennies, en agissant individuellement et conjointement. Les quatre premières concernent l’augmentation de la productivité à travers des changements dans la conception, les technologies et les systèmes. Les deux suivantes font référence à la coopération mondiale en matière d’investissement, de financement et de normes. Les deux dernières concernent la santé et les comportements des acteurs. Dans tous ces domaines et dans leurs interactions, l’intelligence artificielle et la numérisation peuvent avoir des effets puissants, facilitateurs et renforçateurs. Les progrès extraordinaires de l’intelligence artificielle et le besoin profond de durabilité et de nouvelles technologies se produisent simultanément. D’autres analyses récentes examinant et démontrant ces effets de croissance ont été publiées en janvier 2023 : le rapport Skidmore rédigé pour le gouvernement britannique (Skidmore, 2023) et le rapport Stern et Romani pour le Forum économique mondial (Stern & Romani, 2023).

Stiglitz & Stern (2023) sont, sans doute, légèrement trop optimistes quant au delta de croissance qu’il reste au niveau mondial avant que celle-ci ne s’arrête. Il existe d’autres facteurs qui font que la croissance pourrait être ralentie et faible dans les prochaines décennies. Nouriel Roubini (2022) estime que nous sommes, aujourd’hui, au bord de dix « méga-menaces », susceptibles de générer une profonde instabilité, des conflits et le chaos. Selon cet auteur, la pire crise de la dette que l’humanité n’ait encore connue nous attend, et les solutions potentielles sont limitées ou risquent d’aggraver la situation. L’ampleur de ce défi est exacerbée par d’énormes engagements non financés liés au vieillissement de la population. Les solutions proposées ne feront qu’attiser les divisions et les conflits. Le changement climatique pourrait entraîner une migration massive des pays les plus chauds vers les pays les plus froids. Et des risques militaires se profilent entre les deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine.

Une nouvelle crise financière pourrait très bien subvenir lors des prochaines années. Le fait que nous ayons surinvesti dans des actifs carbonés risque de ralentir la croissance et de générer possiblement une nouvelle crise financière. Les dommages générés par la hausse des températures et la dégradation de l’environnement (perte de la biodiversité, épuisement des ressources naturelles, incendies, montée des eaux…) risquent de détruire la valeur de certains actifs jusqu’à atteindre un moment Minsky[3]. Plus la hausse des investissements en faveur du climat et la transformation vers une économie plus sobre en énergie seront lentes, plus il y a de chance qu’une crise financière majeure (voire plusieurs) se déclenche au cours des prochaines années.

4. Les différentes phases de la transition écologique

Cahen-Fourot & Monserand (2023) consdidèrent qu’une économie qui serait en transition vers un sytsème de post-croissance peut être analysée en trois phases. Lors de la première phase, la croissance du PIB peut provenir des investissements massifs réalisés afin de réduire autant que possible l’impact environnemental de l’activité productive. L’effet concret de ces investissements sur la croissance dépendra notamment de l’ampleur relative des investissements et des désinvestissements à effectuer, des effets multiplicateurs ainsi générés et des changements de modes de consommation.

Lors de la deuxième phase, une réduction de l’activité économique générée par les changements progressifs des modes de vie et à la réorganisation de l’économie vers plus de simplicité et de sobriété : flux d’énergie, de matières premières, de polluants ainsi que les flux et stocks monétaires sont redimensionnés et réorganisés. Cette phase peut s’identifier à la décroissance selon ces auteurs. Certains de ces changements sont rendus possibles ou facilités par la première phase, par exemple le report modal pour les transports ou l’isolation massive des bâtiments. Durant la phase de décroissance, la consommation privée tend à diminuer davantage que la consommation publique, c’est surtout l’investissement net privé qui aura tendance à être négatif. L’investissement public pourrait au contraire rester stable afin de maintenir la qualité des services publics. Cette stabilité de l’investissement public est aussi importante pour assurer une sortie de transition en douceur. À la sortie de la période de transition, lorsque le stock de capital de l’économie est suffisamment renouvelé et que les investissements « verts » diminuent et cessent donc de compenser les effets négatifs de la transition, la dépense publique stable permet d’éviter que l’économie n’entre dans une phase de récession prolongée. Enfin, dans la troisième phase, l’état stationnaire ou l’état de post-croissance constitue le point d’arrivée où l’activité économique se stabilise.

a) La phase d’investissement et de transformation de l’économie

Lorsque la politique économique ne permet pas d’arrêter le réchauffement climatique, le risque auquel sont confrontés les investisseurs privés augmente, ce qui décourage l’investissement (Stern & Stiglitz (2023)). Mettre trop l’accent sur le présent (la consommation actuelle) au détriment de l’avenir conduit à une faible croissance, à des investissements en capital humain et physique trop faibles, à des investissements en recherche et développement trop faibles à des dommages sur l’environnement trop importants. Un grand nombre d’actions percutantes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre impliquent une augmentation de l’efficacité énergétique ce qui entraînera une amélioration de la croissance au cours des 20 ou 30 prochaines années selon ces auteurs.

Les conservateurs fiscaux pourraient faire valoir que les investissements nécessaires à l’atténuation du changement climatique sont contraints par les recettes fiscales qui dépendent du PIB et que la baisse de recettes fiscales générées par la baisse de croissance ralentie quant à elle par le changement climatique pèserait sur l’action climatique. Par ailleurs, la baisse du PIB et l’augmentation des investissements nécessaires à l’atténuation et à l’adaptation entraîneront, selon certains auteurs, une hausse des taux d’intérêt. Avec des taux d’intérêt (réels) plus élevés et une croissance plus faible, la viabilité de la dette devient plus problématique. L’un des principaux arguments de Stern et Stiglitz est que l’adoption de mesures importantes pour lutter contre le changement climatique peut renforcer la croissance (par rapport au scénario contrefactuel de sous-investissement), même mesurée de manière étroite par le PIB, et peut par conséquent augmenter l’assiette fiscale et améliorer la situation budgétaire des pays.

Les grandes économies comme l’Union européenne ou les États-Unis ont un rôle majeur à jouer dans le nécessaire retour à une économie d’investissement inspirée des principes défendus par John Maynard Keynes comme cela fut le cas à la sortie de la seconde guerre mondiale. Plusieurs réformes fiscales pourraient être mises en œuvre afin de réduire les inégalités, d’accroître l’investissement et de rendre l’économie mondiale plus homogène et moins instable.

Selon Stiglitz et Stern (2023), il existe de multiples façons de répondre à une pénurie d’épargne, y compris à travers des hausses d’impôts. Si les taux d’intérêt réels devaient augmenter en raison d’une pénurie d’épargne et que la viabilité budgétaire était menacée, un gouvernement pourrait réagir de plusieurs manières. Une augmentation de l’impôt progressif augmenterait les recettes publiques et réduirait le besoin d’emprunt. Répondre au changement climatique en partie par l’imposition d’une taxe sur le carbone (ou la mise aux enchères de permis d’émission) permettrait de dégager des recettes substantielles, au moins au cours des prochaines décennies. Ces recettes contribueraient grandement à fournir les fonds nécessaires à l’investissement dans le domaine du climat et permettraient de remédier à toute pénurie d’épargne.

Il existe également, selon ces auteurs d’autres taxes susceptibles d’améliorer simultanément les performances économiques ou la justice sociale : d’autres taxes environnementales, diverses formes de taxes financières, des taxes foncières et des droits de succession. Aux États-Unis, par exemple, un ensemble de taxes de ce type pourrait augmenter les recettes fiscales de plusieurs points de pourcentage du PIB. Par ailleurs, une meilleure administration fiscale peut entraîner une forte augmentation des recettes fiscales dans l’ensemble des pays. Il en va de même pour les accords internationaux visant à fermer les voies permettant aux riches particuliers et entreprises d’éviter les impôts et de s’y soustraire, y compris les paradis fiscaux et le transfert de bénéfices. Les pouvoirs publics peuvent augmenter les recettes de diverses manières et de façon à améliorer l’efficacité, à réduire les émissions et/ou à réduire les inégalités. La réponse au changement climatique ne nécessite pas d’austérité et de baisse des dépenses publiques. Un pronostic pessimiste sur les finances publiques futures ne doit être pas une excuse permettant de justifier l’inaction climatique.

En 2016, Joseph Stiglitz avait déjà effectué des propositions visant à améliorer le fonctionnement de la zone euro. Au sein de la zone euro, il serait possible de créer une union bancaire ; mutualiser les dettes publiques (et utiliser les fonds pour investir dans l’éduction ou les infrastructures) ; améliorer les règles budgétaires ; créer un fonds de solidarité pour la stabilisation de l’économie ; créer une structure fiscale commune. Joseph Stiglitz préconisait d’assouplir les règles budgétaires, afin que les Etat ne soient pas contraints de tailler dans les dépenses d’avenir pendant les récessions. Une forme de budget européen, plus ambitieux que celui d’aujourd’hui, s’avère indispensable selon Joseph Stiglitz. Les revenus pourraient provenir d’un petit impôt progressif instauré sur les particuliers et les entreprises. Cela présenterait un double avantage : créer des recettes publiques européennes d’une part, et harmoniser les pratiques des Etats en la matière d’autre part. Cela aiderait, également, à réduire la concurrence fiscale pratiquée notamment par l’Irlande et le Luxembourg.

Au niveau de l’Union européenne, plusieurs propositions pourraient être sérieusement étudiées afin d’accélérer les investissements nécessaires pour la transition vers une économie bas-carbone en augmentant notamment le budget général de l’UE. L’Union européenne pourrait aller au-delà du mécanisme de taxe carbone aux frontières qui entrera en vigueur en 2026 ou 2027. Les États membres pourraient examiner la pertinence d’augmenter les taxes européennes basées sur les émissions de carbone ainsi que sur les pollutions et de les affecter au budget européen : élargissement de la taxe carbone aux frontières à de nouveaux secteurs polluants, élargir le marché européen du carbone et supprimer les quotas gratuits ; élargir la taxe sur le plastique au-delà des plastiques recyclés et développer les taxes sur la pollution des entreprises.

Les États membres pourraient étudier la faisabilité de différentes taxes comme une Taxe sur les Transactions Financières (TTF)[4], une taxe sur les superprofits, une nouvelle tranche d’imposition, un impôt sur les plus-values ou sur l’héritage… Des taxes supplémentaires sur les billets d’avion pourraient être mises en œuvre. Augmenter l’impôt minimum sur les sociétés permettrait sortir de la concurrence fiscale entre Etats Membres. Cela pourrait être réalisé au niveau européen avant que des progrès supplémentaires aient lieu au niveau mondial. Créer un impôt européen sur les plus hauts patrimoines et les plus hauts revenus, par exemple, via un impôt de solidarité sur la fortune climatique pourrait s’avérer judicieux.

Trois économistes du FMI (Vitor Gaspar, Shafik Hebous & Paolo Mauro, 2022) estiment que l’évasion et la fraude fiscales entraînent la perte de recettes qui auraient pu financer des dépenses sociales ou des investissements dans les infrastructures. Elles exacerbent également les inégalités et le sentiment d’injustice. Les politiques nationales qui servent les intérêts d’un pays peuvent affecter d’autres pays de manière préjudiciable. Si chacun définit sa propre politique fiscale sans tenir compte des effets néfastes qu’elle pourrait avoir ailleurs, tous les pays peuvent être perdants.

En 2021, 137 pays ont permis une avancée considérable en matière de coordination grâce à l’accord reposant sur deux piliers conclu en vertu du cadre inclusif suite à l’impulsion des États-Unis et de L’OCDE. Le Pilier Un de l’accord stipule qu’une partie des bénéfices des multinationales doit être imposée là où les biens ou services de ces entreprises sont utilisés ou consommés.  Le Pilier Deux établit un impôt minimum mondial sur les entreprises de 15 % entrera en vigueur en 2024.

Pour ces auteurs, la coordination fiscale entre les pays peut permettre d’augmenter les recettes, de combattre les inégalités et de lutter contre le changement climatique. Une action coordonnée et concrète est encore plus urgente pour lutter contre le changement climatique, car l’augmentation rapide des émissions de gaz à effet de serre nous précipite vers un réchauffement planétaire catastrophique de plus du double de la limite que les scientifiques considèrent comme tolérable. L’instauration d’un prix minimum international du carbone est analogue à celle d’un impôt minimum mondial sur les sociétés. La différence ici est que quelques-uns des principaux pays émetteurs pourraient faire le premier pas et accélérer la coordination. Un tel prix plancher inciterait à diminuer les émissions et atténuerait les craintes en matière de compétitivité.

Il existe aujourd’hui trop de possibilités permettant aux revenus du capital d’échapper à l’impôt. Les possibilités qui permettent d’utiliser des montages financiers et juridiques (telles que la délocalisation des profits) pour réduire l’impôts poussent les États à entrer dans une logique de concurrence fiscale vers le bas et ralentissent les investissements aujourd’hui nécessaires à la transition environnementale. La concurrence fiscale risque de conduire à un effondrement total de l’économie dans quelques années.

Juste après son arrivée au pouvoir l’Administration Biden avait prévu plusieurs réformes et notamment :

  • L’augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés à 28 %. En 2017, les Républicains avaient réduit ce taux de 35 % à 21 %. L’Administration Biden souhaitait rehausser ce taux à mi-chemin.
  • L’augmentation de l’impôt minimum mondial pour les sociétés multinationales américaines et la baisse des incitations pour les juridictions étrangères visant à maintenir des taux d’imposition sur les sociétés ultra faibles en encourageant l’adoption au niveau mondial d’un plancher minimum. L’Administration Biden souhaitait éliminer l’incitation à délocaliser les actifs corporels en mettant fin à l’exonération fiscale actuelle qui porte sur les premiers 10 % de rendement réalisés sur les actifs des sociétés américaines à l’étranger. Le plan prévoyait d’augmenter l’impôt minimum « Global Intangible Low Tax Income » à 21 %.

Si ces deux réformes n’ont pas été entièrement adoptées, le travail de l’administration Biden a favorisé l’accord international sur la fiscalité entre les 137 pays. La loi américaine prévoit, par ailleurs, que l’impôt minimum « Global Intangible Low Tax Income » passe automatiquement de 10 % à 13,125 % en 2025. L’Administration Biden souhaite toujours faire passer ce taux à 21 %. Cela signifie que les filiales des multinationales américaines implantées dans des pays où le taux d’imposition sur les bénéfices sera de 15 % devront immédiatement payer un impôt supplémentaire de 6 % aux États-Unis si l’Administration Biden parvient à ses fins.

L’Union Européenne et les États-Unis devront très certainement poursuivre les réformes fiscales qui vont rentrer en vigueur au niveau mondial grâce notamment à l’impulsion des États-Unis. Il faudrait pour cela que les Démocrates puissent avoir une majorité plus forte aux prochaines élections et que plusieurs États de l’UE soient moteurs et suivent le même chemin.

Une étude de l’Institut des politiques publiques (2023) montre que les revenus des 75 foyers français les plus aisés sont proportionnellement moins imposés que ceux du reste de la population. Selon cette étude, les 37.800 foyers les plus fortunés, les 0,1 % des foyers fiscaux les plus riches qui touchent plus de 627.000 euros par an, ont un taux d’imposition moyen de 46%. En revanche, ceux dont les revenus sont beaucoup plus élevés, les 0,0002% les plus riches, ne sont imposés qu’à 26% selon les estimations des auteurs de l’étude. Ce résultat s’explique par un changement dans la composition des revenus au sommet de la distribution. Ceux-ci passent d’une majorité de revenus imposables à l’impôt sur le revenu à une majorité de revenus sous la forme de bénéfices de sociétés non distribués aux foyers fiscaux qui les contrôlent, imposables à l’impôt sur les sociétés. En conséquence, les taux d’imposition effectifs à l’impôt sur le revenu diminuent en pourcentage du revenu économique global pour atteindre environ 2 % parmi le top 0,001 %.

Lorsque la productivité du travail stagne, la masse salariale relative augmente et les marges des entreprises sont comprimées (Tim Jackson (2021)). Les salaires, les prix à la consommation et les investissements entrent en concurrence les uns avec les autres. La question cruciale est de savoir comment la politique doit réagir à cette réalité pas si nouvelle. Au cours des dernières décennies, le capitalisme a eu une réponse très spécifique. Confrontés à une baisse des rendements, les producteurs et les actionnaires ont systématiquement protégé les profits en réduisant la rémunération du travail. Les gouvernements ont encouragé ce processus par une politique monétaire laxiste, une mauvaise surveillance réglementaire et de l’austérité fiscale. Le résultat de ces politiques a conduit de nombreux travailleurs à voir leurs salaires baisser ou stagner.

Des progrès démocratiques et sociétaux sont donc indispensables pour résoudre la crise environnementale. Nouriel Roubini (2022) considère que les inégalités sont un grave problème pouvant déchirer le tissu social et qui conduisent aujourd’hui au populisme politique et au nationalisme économique. Les inégalités se sont remises à augmenter dans de nombreux pays à partir des années 1980. Elles ne sont toutefois pas le seul facteur qui expliquent la montée destructrice pour l’humanité du nationalise et du populisme. Selon le Rapport sur les inégalités mondiales (2022), coordonné par Lucas Chancel, avec Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, les 1 % les plus riches émettent autant de gaz à effet de serre que les 50 % les plus pauvres de la planète.

Stiglitz et Stern (2023) estiment que la destruction de l’environnement peut être considérée comme un passif transmis aux générations futures, confrontant les générations actuelles à un choix désagréable entre la dette financière et la dette environnementale. La dette environnementale est beaucoup plus dangereuse que la dette financière. La dette financière qui est transmise aux générations futures correspond à des sommes d’argent qu’une partie de la société doit à d’autres parties. Il s’agit donc de sommes d’argent que la société se doit à elle-même. Il est possible de faire disparaître la dette financière en la restructurant. La restructuration de la dette n’entraîne pas directement une diminution du capital physique, humain ou naturel, bien qu’elle puisse réduire la capacité des gouvernements à emprunter dans le futur, ce qui nécessiterait d’augmenter les impôts pour financer les dépenses (la restructuration de la dette limiterait ainsi la possibilité de reporter les impôts dans le futur). Le fardeau de la dette le plus important laissé aux générations futures est celui de la détérioration de l’environnement. Il n’est pas possible de se débarrasser de ce fardeau aussi facilement que de celui de la dette financière. Il n’est possible de débarrasser l’atmosphère de ses gaz à effet de serre qu’en engageant des dépenses massives. Bien entendu, lorsque les pays évaluent leur situation budgétaire, ils doivent se prononcer sur la croissance et les taux d’intérêt futurs. Ils doivent viser la viabilité de la dette – les coûts associés aux restructurations de la dette sont souvent élevés et plongent souvent les pays dans une crise. Cependant, le cadre d’équilibre général qui a dominé la macroéconomie n’est pas le cadre approprié pour réfléchir à la résolution de la crise climatique, précisément parce que les crises reflètent un déséquilibre, des incohérences macroéconomiques et des situations où les plans qui étaient prévus ne sont pas respectés. Il n’est guère judicieux de réduire aujourd’hui les investissements publics dans l’éducation, les infrastructures, la R&D ou l’environnement simplement parce qu’à l’avenir, si les choses tournent mal, la dette pourrait ne pas être soutenable.

Les économistes ultra-libéraux comme Milton Friedman estiment, contrairement à Keynes que le rôle de l’Etat dans l’économie doit être le plus faible possible. La crise des subprimes et celle de la Covid-19 donnent raison à Keynes qui défendait la nécessité pour l’Etat d’intervenir dans l’économie sans se limiter pour cela pas à un Etat gendarme. Il en est de même pour la crise écologique. La réussite extraordinaire des sociétés technologiques comme Apple est parfois présentée comme la preuve du dynamisme du marché. Mariana Mazzucato (2020) rappelle néanmoins que le secteur privé bénéficie des investissements publics et que l’investissement public est complémentaire de l’investissement privé. Marina Mazzucato souligne que la recherche fondamentale ayant permis chacune des innovations rendant le smartphone intelligent (GPS, microprocesseur, écran tactile, Internet même) a été financée par le gouvernement des États-Unis. Le rôle de l’Etat est crucial pour accélérer la transition vers un modèle économique soutenable. Comme le souligne Kate Raworth (2017), celui-ci peut, par bien des manières, encourager activement une alternative régénérative, notamment en structurant la fiscalité et les réglementations, en intervenant comme investisseur transformatif et en favorisant le dynamisme des communs.

Les possibilités d’amélioration de l’efficacité énergétique sont considérables comme le suggèrent plusieurs études (Lovins (2018) ; Agence internationale de l’énergie (2022)). L’économie circulaire qui vise à éliminer le gaspillage et l’utilisation linéaire des ressources présente notamment un réel potentiel d’économie de ressources. Contrairement à l’économie linéaire, l’économie circulaire permet de traiter déchet comme des intrants dans la production (Fondation Ellen MacArthur, 2019 ; Pauliuk et al., 2021). Il existe, d’après Stiglitz & Stern (2023), de puissants rendements d’échelle croissants, tant dans la production que dans la découverte de nouvelles technologies, qui découlent des technologies d’échelle, de l’apprentissage par la pratique et de l’innovation. D’autres rendements d’échelle sont présents dans les réseaux essentiels – par exemple, les réseaux électriques, l’Internet très haut débit, les transports publics ou les installations de recyclage et de réemploi. L’intensification des activités écologiques permettra à notre économie de tirer parti de ces rendements d’échelle.

Les systèmes énergétiques, urbains, les terres et les transports peuvent devenir plus productifs en améliorant leur fonctionnement et leurs interactions. L’action en faveur du climat et la volonté d’atteindre des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles exigent que les villes soient conçues afin d’accueillir davantage de cyclistes et de piétons, de disposer de moyens de transport plus efficaces et d’une meilleure qualité de l’air. Les villes seront moins encombrés grâce à l’augmentation des transports en commun et des vélos. Il sera possible de s’y déplacer plus facilement et de respirer plus sainement ce qui rendra ces villes plus productives.

La pollution de l’air est associée à 10 à 20 % des décès annuels dans le monde. La réduction des émissions provenant de la combustion des combustibles fossiles réduira ces impacts et allégera le fardeau qui pèse sur l’économie, en favorisant la croissance pendant la période d’investissement par de multiples canaux, notamment une plus grande productivité de la main-d’œuvre et une diminution des coûts des soins de santé selon Stiglitz & Stern (2023).

Les décideurs politiques et les investisseurs s’accordent, ou devraient s’accorder, sur le fait que l’action en faveur du climat nécessite des investissements substantiels dans tous les pays et tous les secteurs. Le renforcement mutuel résultant d’une action simultanée dans plusieurs pays et secteurs peut stimuler l’investissement et l’innovation dans tous les pays selon Stiglitz & Stern (2023). Un prix du carbone solide et crédible entraînera un remplacement plus rapide des anciens biens d’équipement par de nouveaux biens d’équipement plus efficaces sur le plan énergétique et moins gourmands en carbone. De nouvelles normes auront des effets similaires.

En reconnaissant la nécessité d’une transition écologique, l’humanité a également compris que le climat est un bien public mondial et qu’il ne peut être traité qu’à l’échelle mondiale. Même si les pays avancés ramènent rapidement leurs émissions nettes de gaz à effet de serre à zéro, le changement climatique se poursuivra à un rythme soutenu, à moins que les pays émergents n’opèrent eux aussi une transition écologique. Étant donné qu’une grande partie de la concentration atmosphérique actuelle des gaz à effet de serre est due aux actions des pays avancés, il est peu probable que les pays émergents soient enclins à opérer une telle transition sans l’aide des pays développés. Des pays comme l’Inde indiquent aux pays développés, dans le cadre des négociations internationales relatives au climat, qu’ils partagent les préoccupations relatives au changement climatique mais que leur priorité est le droit au développement et de permettre de sortir de la pauvreté alors même que la transition énergétique est couteuse (intervention de Sébastien Jean aux printemps de l’économie en 2021).

C’est dans cette optique que l’accord de Paris (qui n’a pas encore été pleinement mise en œuvre) prévoit une aide financière (incluant également le transfert de technologies) des pays développés à destination des pays émergents. Si les engagements de l’accord de Paris sont respectés, la croissance mondiale sera renforcée, car les investissements et les transferts de technologies augmenteront la productivité dans les pays émergents. La coopération mondiale affaiblit les incitations aux comportements nuisibles, mais elle renforce également les incitations à l’innovation et l’investissement, cette coopération contribue à créer un marché mondial plus vaste pour les produits respectueux de l’environnement selon Stern & Stiglitz (2023).

Les pays et zones géographiques qu’ils soient émergents ou avancés devront se développer sur des modèles basés sur l’économie circulaire avec une consommation et une production qui doivent être davantage locales même si certains échanges internationaux doivent se poursuivre (ceux relatifs aux matières premières nécessaires à la transition vers une économie bas carbone notamment). Les taxes aux frontières sur les produits polluants (comme la taxe carbone aux frontières de l’UE qui entrera en vigueur en 2026 ou 2027) gagneraient à être compensées par des aides financières ou des investissements dans des projets respectueux de l’environnement et des transferts de technologies comme le prévoit l’accord de Paris.

L’évolution de la société vers une transition écologique s’accompagnera d’une modification des normes sociales. Les êtres humains voyant leurs autres beaucoup moins gaspiller ou détruire, seront plus enclins à changer leurs propres comportements (en ce qui concerne les déchets ou le tabagisme par exemple).

Stern & Stiglitz (2023) ont identifié au moins six défaillances du marché clés ayant une incidence directe sur le changement climatique. Surmonter ces défaillances permettra, selon ces auteurs, de résoudre la crise climatique tout en générant des impacts positifs sur le développement et l’économie.

Défaillances du marchéDescription de la défaillanceSolution politique
Emissions de gaz à effet de serreExternalité négative en raison des dommages que les émissions de gaz à effet de serre infligent à l’humanité non suffisamment pris en considération. L’absence de politique conduit à un sous-investissement dans ce bien public.Taxe carbone ; marché de quotas des émissions ; réglementation des émissions (normes) ; investissement public.
Recherche et développementLa connaissance doit être considérée comme un bien public qui peut être entravé par le sous-investissement et les restrictions d’utilisation. L’orientation actuelle de l’innovation n’est pas socialement optimale. La recherche en matière d’écologie est trop faible.Allégements fiscaux et autres subventions pour la recherche en matière d’écologie, soutien au déploiement et à la recherche financée par les pouvoirs publics.
Imperfection des marchés du risque/capitalL’imperfection et les asymétries d’information accroissent les coûts de création de nouveaux marchés entraînant un rationnement du crédit et une couverture incomplète des risques, ainsi qu’un fort comportement d’aversion au risque.Exigences en matière d’information sur les valeurs mobilières, exigences en matière d’analyses des risques systémiques liés au changement climatique auxquels sont confrontées les différentes parties prenantes ; exigences vis-à-vis de la création de banques de développement écologique.
Réseaux et systèmesProblèmes de coordination au sein des différents réseaux et trop faibles externalités positives générées par les réseaux de systèmes.Investissements dans les infrastructures pour soutenir l’intégration des nouvelles technologies dans les réseaux électriques, les transports publics, l’Internet haut débit, le recyclage, l’aménagement des villes et, plus largement, la coordination économique et sociale.
InformationMéconnaissance des technologies, des actions et des politiques, nécessaires à la transition écologique. Echec de l’intégration des informations pertinentes dans les comportements et de l’intégration des interdépendances comportementales.Exigences en matière d’étiquetage et d’information sur les voitures, les appareils électroménagers, les produits et la sensibilisation aux différentes possibilités. Faciliter la création de nouvelles normes et d’exigences en matière de transparence pour les titres et valeurs mobilières ; et les analyses des risques systémiques liés au changement climatique et aux processus environnementaux connexes (comme la perte de biodiversité).
Co-bénéficesPrise en compte des avantages au-delà des récompenses du marché.Valorisation des écosystèmes et de la biodiversité, reconnaissance des impacts sur la santé ; réglementations visant à limiter les impacts négatifs.

Tableau 1 : Liste des défaillances de marchés ralentissant la transition écologique, source : Stern & Stiglitz (2023)

Les défaillances du marché identifiées par Stern & Stiglitz (2023) interagissent les unes avec les autres et sont des manifestations diverses des externalités, de l’incapacité pour les acteurs économiques à s’approprier tous les bénéfices de leurs actions, de l’incapacité à supporter l’intégralité des coûts, des problèmes de passager clandestin[5] associés aux biens publics et des problèmes liés à l’absence de marchés. Les inefficacités/inadéquations en matière de R&D sont en partie liées aux imperfections des marchés du risque et des capitaux et, en particulier pour l’innovation visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à l’absence d’un système adéquat de tarification et d’évaluation ainsi qu’à l’absence d’un cadre réglementaire.

La répartition précise des responsabilités entre le secteur public et le secteur privé a fait l’objet de nombreuses discussions. La répartition des rôles entre les investissements privés et publics peut varier d’un pays à l’autre, en fonction, par exemple, du développement des institutions du marché des capitaux. Mais dans tous les cas, la formulation des cadres d’orientation nécessite une collaboration étroite entre les secteurs public et privé, y compris la participation active de la société civile et l’implication des institutions internationales.

Même si Stern & Stiglitz (2023) font des propositions qui permettront de minimiser le risque d’effets de rebond il est possible que ces auteurs sous-estiment légèrement ce risque conte lequel il est nécessaire de lutter. Les effets de rebond environnementaux se produisent lorsque les bénéfices environnementaux initiaux sont partiellement ou entièrement contrebalancés par les impacts générés (1) par de nouvelles dépenses provenant des gains de revenus sur d’autres biens ou services et (2) de l’incapacité à substituer la production primaire (Makov & Font Vivanco, 2018). Ce phénomène a été repéré il y a plus d’un siècle, par Stanley Jevons (1865). Dans une étude sur la consommation de charbon en Angleterre, cet économiste a constaté que l’efficacité accrue des machines à vapeur ne réduisait pas cette consommation, mais s’accompagnait de son augmentation.

b) La phase de stabilisation de l’économie dans un système de post-croissance

Après avoir lancé les transformations économiques et les investissements nécessaires à la transition vers une économie qui respecte les limites planétaires, il convient de stabiliser le système dans une économie de post-croissance c’est-à-dire une économie qui ne soit plus dépendante de la croissance du PIB.

Plusieurs auteurs se sont intéressés à la stabilité d’une économie caractérisée par une croissance du PIB nulle dans laquelle le taux d’intérêt resterait positif. Il existe plusieurs modèles qui permettent de montrer que cela est possible en théorie (Berg et al., 2015, Jackson & Victor, 2015, Rosenbaum, 2015, Cahen-Fourot & Lavoie, 2016) et d’autres non (Binswanger, 2009). L’économie est considérée comme stable s’il existe un équilibre robuste à de petits chocs et des caractéristiques économiquement souhaitables, à savoir des niveaux de profits et de salaires équilibrés, et un faible taux de chômage (Richters & Siemoneit, 2017).

Adam Barret (2018) s’inspire du modèle de Keen qui repose sur l’hypothèse d’instabilité financière de Minsky. L’analyse se concentre sur la dynamique plutôt que sur l’équilibre, et des scénarios de croissance et de croissance nulle de la production (PIB) sont obtenus en modifiant un paramètre d’entrée de croissance de la productivité. Avec ou sans croissance, il peut y avoir des scénarios qui sont stables et d’autres instables. Pour que l’économie reste stable, les entreprises ne doivent pas modifier trop rapidement leur niveau d’endettement ou leur niveau d’endettement cible. La part des salaires est plus élevée dans les scénarios de croissance nulle, bien que les baisses substantielles d’emploi soient plus fréquentes.

Eckehard Rosenbaum (2015) examine les conditions dans lesquelles une croissance du PIB égale à zéro est possible en s’appuyant sur le modèle de Kalecki (modèle post-keynésien). Dans ce modèle, lorsque la croissance est déterminée par les profits, des profits plus élevés entraînent des taux de croissance plus élevés et, inversement, des profits plus faibles entraînent des taux de croissance plus faibles.

Lorsque la croissance est déterminée par les salaires, des bénéfices plus élevés entraînent des taux de croissance plus faibles et, inversement, des bénéfices plus faibles entraînent des taux de croissance plus élevés. Il est possible de stabiliser une économie déterminée par les salaires avec une variation du PIB égale à zéro. Le progrès technologique permet d’économiser de la main-d’œuvre, la demande de main-d’œuvre diminue en l’absence de croissance en raison du remplacement progressif du stock de capital existant par des machines à moindre intensité de main-d’œuvre. La question de la redistribution du travail (et donc des revenus) est cruciale si l’on veut que la croissance faible ou nulle reste socialement et économiquement viable.

Selon Fontana & Sawyer (2015), il est possible d’atteindre des niveaux d’emploi élevés même en l’absence de croissance en réduisant le nombre moyen d’heures de travail, en déplaçant l’emploi vers des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et/ou en réorientant le changement technologique pour augmenter la productivité des ressources plutôt que celle du travail.

Fontana & Sawyer (2022), examinent les conditions dans lesquelles le passage à une économie à croissance nulle dans les économies avancées est possible en utilisant une analyse postkeynésienne. Cela impliquerait une restructuration majeure de l’économie. Il convient pour cela de trouver des moyens d’aboutir un investissement net nul, notamment en limitant le crédit et en restreignant les investissements des entreprises. Dans leur analyse, le taux de profit et le taux de croissance sont liés, pour aboutir à une croissance nulle, il faut qu’il y ait un faible taux de profit. Avec un investissement net proche de zéro, un déficit budgétaire serait nécessaire pour assurer la pleine utilisation des capacités, dans des conditions d’épargne positive. Le plein emploi de la main-d’œuvre nécessiterait également une capacité de production suffisante. Un ajustement du temps de travail peut s’avérer nécessaire pour maintenir le plein emploi.

c) Un arrêt de la croissance sans politique d’investissement et de transformation de l’économie ne permettra pas de rendre l’économie suffisamment sobre 

Tim Jackson & Peter Victor (2020)  utilise un modèle stock-flux inspiré de l’économie postkeynésienne afin de simuler trois scénarios prospectifs relatifs à l’économie canadienne, couvrant la période allant de 2017 à 2067 : un scénario de base dans lequel les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas, un scénario de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans lequel des mesures sont introduites spécifiquement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et un scénario de prospérité durable qui incorpore des mesures supplémentaires pour améliorer la qualité de l’air et de l’eau dans le pays.

Tim Jackson & Peter Victor (2020) modélisent deux indicateurs composites plus complets que le PIB : l’indice de charge environnementale, d’une part, et l’indice de prospérité durable, d’autre part. L’indice de charge environnementale est conçu pour refléter les impacts environnementaux de l’activité économique non pris en considération par le PIB : la décarbonisation du secteur de l’électricité, la décarbonisation des secteurs non électriques, les co-bénéfices provenant de la décarbonisation sur la santé et l’environnement et les bénéfices non liés au carbone provenant d’autres investissements durables. L’indice de prospérité durable correspond à la somme pondérée du PIB par habitant, du coefficient de Gini relatif aux revenus des ménages, du nombre moyen d’heures travaillées dans l’économie, du ratio entre les prêts et les avoirs nets des ménages, du ratio dette publique/PIB, du taux de chômage et de l’indice de charge environnementale. Ces auteurs montrent, en se basant sur des données propres à l’économie du Canada, que l’amélioration de la situation environnementale et sociale à travers ces deux indicateurs est possible même lorsque le taux de croissance du PIB par habitant devient progressivement nul. Dans le scénario de prospérité durable (le scénario optimal selon ces auteurs), la croissance du PIB par habitant ralentit à partir de 2027 et devient nulle en 2050. L’indice de Gini diminue (ce qui signifie que les inégalités diminuent elles aussi) alors qu’il reste stable dans les deux autres scénarios. Le ratio dette publique sur PIB modélisé dans le scénario de prospérité durable augmente sans toutefois exploser (même lorsque la croissance du PIB par habitant devient nulle).

Il est possible de poursuivre les analyses de Fontana & Sawyer (2022) et celles de Tim Jackson & Peter Victor (2020) notamment et de les appliquer à plusieurs pays de la zone euro (France, Allemagne, Italie, Espagne et Pays-Bas) afin d’étudier ce qui se passerait au niveau des finances publiques si la croissance du PIB s’arrêtait en 2024. Les projections du FMI peuvent être utilisées pour cela. Ces analysent montrent qu’il est possible d’avoir des finances publiques qui restent stables et une dette publique qui ne s’envole pas dans une situation de croissance du PIB égale à zéro mais il faut que la somme du déficit public et du taux d’intérêt soit inférieure au taux d’inflation (il faut donc que l’inflation soit un peu élevée soit que le déficit public soit très faible ou nul et que les taux d’intérêt soient très faibles). A court terme et dans le contexte actuel l’arrêt immédiat de la croissance ne permet pas (ou du moins très difficilement) aux États d’utiliser le déficit public afin d’investir et de décarboner l’économie. Dans le modèle de Tim Jackson & Peter Victor (2020) le déficit public augmente pendant la période d’investissement dans laquelle l’économie du Canada continue de croître (légèrement). Lorsque la croissance s’arrête le déficit public devient très faible.

L’arrêt de la croissance seul et sans politique d’investissement et réformes fiscales, fait que la dette publique s’envole pour tous les étudiés (y compris l’Allemagne et les Pays-Bas) les finances publiques se dégradent, l’Etat et les entreprises n’ont pas les leviers nécessaires pour investir dans la transition vers une économie bas-carbone. Ces résultats confirment la conclusion de Stiglitz & Stern (2023), estiment que l’arrêt immédiat de la croissance n’est ni nécessaire ni suffisant pour permettre une décarbonation rapide de l’économie. Pour que la croissance puisse être faible dans les pays avancés d’ici à 2050 (par exemple comprise entre 1 et 0 %), que ces derniers soient en capacité d’investir et d’aider les pays émergents, il faut que les taux d’intérêts soient faibles ou modérés. La crise environnementale a des effets inflationnistes. Même si l’inflation présente l’avantage de faire diminuer la valeur des dettes publiques et privées, il est nécessaire de la contenir en transformant massivement les économies en les rendant sobres en énergie.

Il convient préalablement à la stabilisation du système économique dans une situation de post-croissance de mettre en œuvre une économie keynésienne avec des réformes au niveau de fiscalité qui permettent de réduire les inégalités, de sortir de la concurrence fiscale et d’investir massivement dans la transition vers une économie bas carbone sobre en énergie. Pour atteindre ces objectifs, le déficit public peut être utilisé transitoirement. C’est cette politique d’investissement et de transformation qui permettra ensuite de stabiliser le système économique dans un monde sans croissance (et non l’inverse).

L’arrêt de la croissance rend les systèmes sociaux plus difficilement insoutenable. Des solutions pourraient être trouvées pour les rendre soutenables dans un monde sans croissance. Une légère récession dans les économies avancées rendrait les choses beaucoup plus difficiles. Avec une variation du PIB négative (donc une récession), il semble très difficile de maintenir des taux d’emplois élevés sauf en baissant fortement la durée du travail ce qui est difficile (on ne peut pas baisser indéfiniment la durée du travail). La récession mettrait encore davantage sous tensions les finances publiques et occasionnerait d’importants problèmes au niveau des dettes publiques et privées. Les systèmes sociaux (comme les retraites) seraient difficilement soutenables si le PIB devait baisser pendant plusieurs années. Une baisse du PIB qui durerait plusieurs années entrainerait des faillites et des dépôts de bilans et aurait ainsi pour conséquence inexorable une hausse du chômage.

En France, par exemple, la baisse de la croissance rend le système des retraites plus difficilement soutenable. Selon les estimations du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), avec la convention Équilibre Permanent des Régimes, le solde du système de retraite resterait négatif à moyen terme dans l’ensemble des scénarios et ne reviendrait progressivement positif que dans le scénario dans lequel la croissance du PIB est de 1,6 %. Le système de retraite resterait durablement en besoin de financement dans les autres scénarios (de -1,9 % du PIB dans le scénario avec une croissance du PIB de 0,7 % et -0,4 % dans le scénario avec une croissance du PIB de 1,3 %). Avec la convention Équilibre Permanent des Régimes, le système de retraite reviendrait progressivement à l’équilibre dans trois scénarios sur quatre. Le solde varierait entre -0,7 % (scénario avec une croissance du PIB de 0,7 %) et 1,5 % (scénario avec une croissance du PIB de 1,6 %) du PIB en 2070.

L’autre gros défaut de la récession c’est qu’elle réduit considérablement les capacités d’investissement dans des technologies bas-carbone. Les investissements publics et privés pour le climat doivent considérablement augmenter. Or, lorsque le PIB se contracte les investisseurs qui anticipent un futur morose réduisent leurs investissements. L’État peut alors venir à la rescousse des investisseurs et du secteur privé comme le recommandait John Maynard Keynes mais dans le contexte macro-économique dans lequel nous sommes une récession qui durerait plusieurs années limitera les capacités de l’État à venir à la rescousse du secteur privé et nous entrainera dans une situation très difficile.

Conclusion

Dans la littérature économique, il existe différentes visions de la résolution de la crise climatique. Le courant de l’approche coût-efficacité s’appuyant sur les modèles d’évaluation intégrée a tendance à nettement sous-estimer les dégâts qui seront occasionnés par le changement climatique et la dégradation de l’environnement.

A l’opposé des auteurs qui recommandent une action trop modérée vis-à-vis de la crise environnementale, certains auteurs préconisent de mettre en place des solutions consistant à sortir de la croissance économique. Au sein de ce courant de la post-croissance / décroissance, il existe toutefois des disparités. Post croissance et décroissance peuvent parfois être des synonymes et revoient parfois à des visions légèrement différentes.

Dans la littérature sur la décroissance, certains auteurs indiquent que la décroissance n’est pas de la récession et estiment que les économies avancées devraient abandonner l’objectif de croissance du PIB et laisser de l’espace aux pays dans lesquels le PIB est faible ou intermédiaire et où la croissance peut s’avérer encore nécessaire afin de leur permettre de se développer.

Dans la littérature sur la décroissance il y a également des auteurs qui estiment que la décroissance doit se traduire par une légère récession dans les pays avancés. D’autres auteurs précisent que la décroissance n’est pas de la récession mais qui font des propositions qui vont inévitablement engendrer de la récession (les auteurs qui indiquent qu’une baisse de la production et de la consommation sont nécessaires) si un gouvernement décidait de mettre en place de telles mesures.

Plusieurs études suggèrent que l’éventualité d’une croissance verte qui se poursuivrait indéfiniment ou du moins pendant encore de nombreuses année est peu probable. Le cabinet IDH21 montre que la période 2007-2014 pendant laquelle la croissance du PIB des États membres de l’Union européenne a été la plus faible s’est également caractérisée par une diminution significative des émissions de CO2.

Selon une étude récente, menée par Gaya Herrington, responsable de la durabilité et de l’analyse des systèmes dynamiques au sein du cabinet comptable KPMG, publiée dans le Yale Journal of Industrial Ecology, les résultats des auteurs du livre « The limits to growth » vivement critiqués à l’époque, s’avèrent en fait très proches de la réalité.

La résolution de la crise climatique et environnementale comprend plusieurs phases. Une phase d’investissement et de transformation permettant de rendre l’économie sobre pour permettre ensuite la stabilisation de l’économie dans le respect des limites planétaires sans croisssance.

La phase d’investissement et de transformation de l’économie va générer des effets à la fois positifs et négatifs sur la croissance du PIB. L’impact des investissements dans des infrastructures bas-carbone sur la croissance dépendra notamment des multiplicateurs keynésiens. La transformation de l’économie va générer des gains de productivité tandis que la disparition / diminution des formes de production destructives et inutiles va générer des effets négatifs sur la croissance. Plus la hausse des investissements en faveur du climat sera lente plus les risques qu’une nouvelle crise financière se déclenche seront importants.

Afin de pouvoir stabiliser l’économie dans un système de post-croissance, il convient dans un premier temps, de mettre en œuvre une économie keynésienne avec des réformes au niveau de fiscalité qui permettent de réduire les inégalités, de sortir de la concurrence fiscale et d’investir massivement dans la transition vers une économie bas carbone sobre en énergie. C’est la réalisation de cette phase d’investissement qui va permettre de stabiliser l’économie dans un système de post-croissance et non l’inverse. Il sera très difficile (voire même impossible) de résoudre la crise environnementale avec une politique qui à faire les choses dans le sens inverse c’est-à-dire arrêter d’un coup la croissance sans se soucier suffisamment de la nécessaire politique d’investissement et de transformation de l’économie.

Les grandes économies comme l’Union européenne ou les États-Unis ont un rôle majeur à jouer dans le nécessaire retour à une économie inspirée des principes défendus par John Maynard Keynes. Il reste une période dans laquelle il y aura encore probablement de la croissance au niveau mondial avant que le système ne se stabilise (dans un scénario optimiste) dans une situation de post-croissance. Cette période doit être utilisée pour investir et effectuer des réformes fiscales permettant de financer les systèmes sociaux quand la croissance s’arrêtera ou deviendra proche de zéro.

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[1] https://www.alternatives-economiques.fr/macroeconomie-de-post-croissance/00106869#footnote2_bnz8odo

[2] En général, l’école de la décroissance préconise une croissance du PIB nulle (ou légèrement négative) en particulier dans le monde industrialisé Fontana & Sawyer (2022).

[3] Lorsqu’il n’y a plus de croissance ou que la valeur des actifs se réduit fortement, les dettes des investisseurs finissent par les étrangler devenant supérieures à la valeur des actifs.  Les investisseurs réduisent alors leurs investissements et sont contraints de vendre leurs actifs financiers pour rembourser leurs dettes. La revente des actifs provoque alors un retournement des marchés financiers et une crise financière. Source : Minsky H. (1986). Stabilizing an unstable economy.

[4] La taxe Tobin présente des avantages et des inconvénients. Neil McCulloch & Grazia Pacillo (2011) montrent que la taxe Tobin est applicable et, que si elle est conçue de manière appropriée, elle pourrait contribuer de manière significative aux recettes fiscales des sans entraîner de distorsions majeures. Cependant, il est peu probable qu’elle réduise la volatilité des marchés et elle pourrait même l’accroître.

[5] Même s’il y a un bénéfice collectif à réduire les émissions de gaz à effet de serre, certaines entreprises ou Etats considérés individuellement pourraient avoir intérêt à ne pas le faire à court terme notamment.