Peut-on mettre en place une économie stable sans croissance ?

Cet article examine l’impact des modèles de croissance sur la soutenabilité environnementale et économique et essaye de déterminer (i) dans quelles conditions un modèle économique qui ne serait plus financé par la croissance du PIB pourrait être soutenable (ii) et si ce modèle est aujourd’hui le modèle que doivent choisir les économies avancées.

1) Les pays avancés doivent à présent piloter l’économie avec une croissance de plus en plus faible


Tim Jackson (2021) précise que les taux de croissance de 5 % qui caractérisaient les économies avancées jusqu’en 1968 sont désormais révolus depuis longtemps. À l’horizon 2020, même avant la pandémie, le taux de croissance moyen du PIB des pays de l’OCDE était d’à peine 2 %. Si l’on mesure le taux de croissance moyen par personne (qui correspond à ce que les économistes appellent le niveau de vie) sur ces périodes le déclin est encore plus flagrant.

Le graphique ci-dessous met en exergue la baisse de la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant dans plusieurs économies avancées. En Italie, la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant est même négative depuis deux décennies.

Si l’on mesure la productivité du travail, c’est-à-dire la production moyenne générée par heure travaillée dans l’économie, la situation semble encore plus grave selon Tim Jackson. Au Royaume-Uni, après avoir atteint un pic d’environ 4 % en 1968, la croissance tendancielle de la productivité du travail était déjà tombée à moins de 1 % avant la crise financière de 2008. Dans les années qui ont précédé la crise de coronavirus, la croissance de la productivité du travail a été pratiquement nulle. Il est probable que dans les prochaines années la croissance du PIB devienne proche de zéro dans les économies avancées.


2) Plusieurs études suggèrent que le scénario de croissance verte est peu probable

Plusieurs études suggèrent que l’éventualité d’une croissance verte qui se poursuivrait indéfiniment ou du moins pendant encore de nombreuses année est peu probable. D’après Hickel & Kallis (2020), s’opposent à « la théorie de la croissance verte » qui estime que l’expansion économique continue est compatible avec les limites planétaires, car l’évolution technologique et la substitution permettront de découpler entièrement la croissance du PIB de l’utilisation des ressources et des émissions de gaz à effet de serre. Ces auteurs considèrent que les preuves empiriques concernant l’utilisation des ressources et des émissions de CO2 ne soutiennent pas la théorie de la croissance verte et qu’il n’existe aucune preuve empirique que le découplage absolu de l’utilisation des ressources puisse être réalisé à l’échelle mondiale dans un contexte de croissance économique continue. Selon ces auteurs, il est très peu probable que le découplage entre le PIB et les émissions de gaz à effet de serre soit réalisé à un rythme suffisamment rapide pour empêcher le réchauffement climatique de dépasser la limite de 1,5°C ou 2°C, même dans des conditions politiques optimistes.

Selon Tim Jackson (2017), il est pratiquement impossible d’envisager des scénarios viables d’atténuation du réchauffement climatique dans lesquels la croissance du PIB se poursuivrait indéfiniment. Il existe de nombreuses preuves que l’intensité en carbone du PIB mondial a diminué de plus d’un tiers depuis le milieu des années 1960. Ce type de découplage relatif ne suffit toutefois pas à lui seul de permettre à la croissance du PIB de se poursuivre éternellement selon l’analyse de Tim Jackson (2021).

Selon Joachim Peter Tilsted, Anders Bjørn, Guillaume Majeau-Bettez & Jens Friis Lund (2021), le rythme de découplage entre la croissance du PIB et les émissions de carbone dans les plus performants (les pays nordiques, dont le Danemark notamment), reste à l’heure actuelle insuffisant pour leur permettre d’atteindre une « véritable croissance verte ».

Dans un ouvrage paru en 1972 « The limits to growth » des chercheurs du MIT, avaient créé l’un des premier modèles informatiques dynamiques de l’économie mondiale appelé, Word 3. Le but de cette équipe de recherche consistait à explorer toute une gamme de scénarios économiques jusqu’en 2100, en tenant compte de cinq facteurs qui leur semblait déterminer (et limiter) la croissance de la production : population, production agricole, ressources naturelles, production industrielle et pollution. Selon leurs estimations, dans le scénario de statu quo à mesure que la population et la production mondiale augmente, les ressources non renouvelables comme les minerais et les métaux s’épuisent, d’où une chute de la production industrielle et alimentaire ce qui finit par causer une famine, une forte baisse de la population humaine et des niveaux de vie très réduits pour tous.

Kate Raworth (2017) indique que l’analyse des chercheurs du MIT suscita une vive inquiétude quant à l’état de la planète. Les adeptes de l’économie dominante s’empressèrent de tourner ce modèle en dérision, parce qu’il sous estimait la rétroaction équilibrante du prix sur les marchés. Le prix Nobel William Nordhaus notamment s’est montré très critique vis-à-vis de celui-ci, car le modèle World 3, sur lequel il repose, ne comporte pas de fonction de production ni de prix, comme c’est le cas pour les modèles que manipulent habituellement les macroéconomistes[1]. Si, pour ces raisons, Nordhaus récusa les inquiétudes exprimées par Meadows et ses collègues quant à la poursuite de la croissance sur le long terme, il nota cependant que la question du changement climatique est nouvelle et mérite une attention particulière.

Selon une étude récente, menée par Gaya Herrington, responsable de la durabilité et de l’analyse des systèmes dynamiques au sein du cabinet comptable KPMG, publiée dans le Yale Journal of Industrial Ecology, les résultats des auteurs du livre « The limits to growth » vivement critiqués à l’époque,  s’avèrent en fait très proches de la réalité. Pour obtenir ces résultats, Gaya Herrington  et son équipe ont comparé les projections de 1972 avec les données actuelles réelles et tangibles du développement économique et de l’extraction des ressources. Ces auteurs ont pris en compte un ensemble de dix variables clés : la population, les taux de fertilité, les taux de mortalité, la production industrielle par tête (mesurée par la formation brute de capital fixe par tête), la production alimentaire, les services par tête, les ressources non renouvelables, la pollution persistante, le bien-être humain (mesuré par l’indice de développement humain) et l’empreinte écologique.

Gaya Herrington et son équipe estiment que les scénarios les plus probables sont ceux appelés « BAU2 » (business-as-usual) et « CT » (comprehensive technology). Les scénarios BAU2 et CT conduisent à un arrêt de la croissance aux alentours de 2040, selon cette étude qui met en cause le système de production capitaliste mondialisé. Les deux scénarios indiquent donc que le maintien du statu quo, c’est-à-dire la poursuite d’une croissance économique continue, n’est pas possible. Même associé à un développement et à une adoption technologiques sans précédent, le business as usual tel que modélisé conduirait inévitablement à un déclin du capital industriel, de la production agricole et des niveaux de bien-être au cours de ce siècle. Dans le scénario BAU2, la production industrielle baisse de 85 % entre 2040 et 2100. Dans le scénario CT la production industrielle baisse de 40 % entre 2040 et 2100. Toutefois, les mobilisations sociales et environnementales, la prise de conscience ces dernières années et notamment des jeunes générations sont un facteur d’optimisme pour Gaya Herrington. Il est encore possible d’atteindre le scénario SW (pour sustainable wordl) dans lequel la production industrielle sera stabilisée aux alentours de 2040 mais plus nous attendons plus nous nous écartons de ce scénario.

Kate Raworth (2017) propose de concevoir le système économique selon un Donut au sein duquel l’humanité devrait prospérer. En deçà du fondement social du Donut se trouvent les pénuries en matière de bien-être humain, qu’affrontent ceux auxquels manquent les choses essentielles comme la nourriture, l’éducation et le logement. Au-delà du plafond écologique se trouve un excès de pression sur les systèmes sources de vie, par le biais du changement climatique de l’acidification des océans et de la pollution chimique par exemple. Mais entre ces deux ensembles de limites se situe un endroit agréable (qui a clairement la forme d’un Donut), un espace à la fois écologiquement sûr et socialement juste pour l’humanité. L’anneau du Donut, son fondement social, définit les nécessités de la vie dont toute personne ne devrait manquer. Ces douze bases incluent : une alimentation suffisante ; une eau potable et des conditions sanitaires décentes ; l’accès à l’énergie et à un équipement de cuisine propre ; un logement correct ; l’accès à l’éducation et aux soins de santé ; un revenu minimum et un travail digne de ce nom ; l’accès aux réseaux d’information et de soutien local.

Les scientifiques ont proposé un ensemble de neuf limites comme des garde-fous au-delà desquels chaque zone de danger commence selon eux. Pour éviter un changement climatique dangereux, par exemple, il faut que la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère reste inférieure à 350 parties par millions. Pour limiter la reconversion des terres, il faut veillez à ce qu’au moins 75% des terres jadis forestières restent boisées. En matière d’engrais chimiques, il faut ajouter dans le sol de la terre au maximum 62 millions de tonnes d’azote et 6 millions de tonnes de phosphore par an.

Ces neufs limites planétaires définissent le plafond écologique du Donut, limite que nous ne devons pas dépasser si nous voulons préserver la stabilité de notre foyer. Ensemble, le fondement social des droits humains et le plafond écologique des limites planétaires créent des frontières internes et externes du Donut. Et elles sont, bien sûr, étroitement interconnectées rappelle Kate Raworth. Malgré les avancées sans précédent dans le bien-être humain au cours des 70 dernières années, nous sommes allés bien au-delà des limites dans les deux sens. Bien des millions d’individus vivent encore en deçà de chacune des dimensions du fondement social. Nous avons déjà transgressé 6 limites planétaires : celles du changement climatique ; de la reconversion des terres ; de la charge en azote et en phosphore ; de la perte de la biodiversité, la limite de la  pollution chimique et la limite du cycle de l’eau douce. L’image du progrès économique ne doit plus être une croissance sans fin du PIB mais une prospérité équilibrée à l’intérieur du Donut. Dans la mesure où nous sommes actuellement en total déséquilibre, puisque nous avons franchi les limites de part et d’autre du Donut, revenir à l’équilibre est une tache conséquente mais pas désespérée.

Daniel O’Neill, Andrew Fanning, William Lamb, & Julia Steinberger (2018), examinent la relation entre l’utilisation des ressources et la satisfaction des besoins humains de base grâce à plusieurs indicateurs conçus pour mesurer un espace de développement « sûr et juste » pour près de 150 pays. Ces auteurs constatent qu’actuellement  aucun pays n’arrive répond aux besoins fondamentaux de ses citoyens à un niveau d’utilisation des ressources qui soit soutenable à l’échelle mondiale.

Cette étude montre qu’il est possible de faire converger l’économie mondiale dans les limites du donut sauf pour une seule variable (la satisfaction à l’égard du niveau de vie). Les besoins physiques tels que la nutrition, l’assainissement, l’accès à l’électricité et l’élimination de l’extrême pauvreté pourraient probablement être satisfaits pour l’ensemble de la population mondiale sans transgresser les limites planétaires. Dans l’état actuel de la technologie, il est quasi impossible de permettre à l’ensemble de la population mondiale d’avoir des niveaux de vie très élevés. Cela nécessiterait un niveau d’utilisation des ressources de 2 à 6 fois supérieur au niveau durable qui permet de rester dans les limites planétaires.

La satisfaction à l’égard du niveau de vie est estimée à travers l’échelle de Cantril qui est formulée comme suit : « sur une échelle de 1 à 10 qui représente la meilleure vie possible où vous situez-vous personnellement en ce moment ? ». Les données proviennent du Gallup World Poll, tel que publié dans le World Happiness Report.


[1] Source : Vivien (2018) : https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2018-4-page-381.htm


3) La crise écologique va engendrer des dégâts économiques et sociétaux immenses qui ne pourront être minimisés que si des politiques ambitieuses sont mises en application

Plusieurs études inspirées des travaux de William Nordhaus DICE pour Dynamic Integrated Model of Climate ont estimé le coût du réchauffement climatique dans une fourchette comprise entre 5 et 20 points de PIB à long terme.

Selon Eloi Laurent (2021), le changement climatique a le pouvoir de détruire toutes les économies du globe, y compris les plus efficaces, les plus productives les plus développées. Ollivier Bodin (2020) estime que les alertes des scientifiques du GIEC ne correspondent pas aux estimations réalisées par les économistes du coût du changement climatique sur base d’observations passées. La plupart des études économiques relatives à l’estimation du coût du réchauffement climatique ne prennent pas en considération l’ensemble des dommages générés par la dégradation de l’environnement liée à l’activité humaine mis en exergue dans le dernier rapport du GIEC : la perte de la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles, la dégradation des sols et des écosystèmes, le risque accru de pandémies, la montée des eaux, la hausse de l’insécurité hydrique et alimentaire, les inondations, les canicules, les feux de forêt, les cyclones et la dégradation des infrastructures humaines notamment. Le GIEC estime que ces dommages sont difficilement prévisibles et qu’ils devraient progresser dans les prochaines années.

Dans une étude récente, Nicholas Stern, Joseph Stiglitz & Charlotte Taylor (2022) estiment que la méthodologie particulière employée dans le cadre des modèles d’évaluation intégrés (tels que le modèle DICE de William Nordhaus), qui sont aujourd’hui les modèles qui dominent la littérature économique, présentent de sérieuses lacunes, qui deviennent particulièrement pertinentes lorsqu’on confronte ces modèles aux réalités et aux risques immenses générés par le changement climatique. Ces modèles sous-estiment l’incertitude profonde et les conséquences que pourrait générer le changement climatique en termes de pertes potentielles de vies humaines et de moyens de subsistance. Ces lacunes limitent la capacité de ces modèles à fournir des orientations adéquats s’agissant de la façon la plus appropriée d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces auteurs estiment que les politiques économiques se doivent d’être davantage agressives s’agissant de la lutte contre le réchauffement climatique que ce que préconscient les modèles d’évaluation intégrés.

Dans le cadre d’une étude publiée en 2022 dans la revue scientifique PNAS, plusieurs auteurs  (Luke Kemp, Chi Xu, Joanna Depledge, Kristie L. Ebi, Goodwin Gibbins, Timothy A. Kohler, Johan Rockström, Marten Scheffer, Hans Joachim Schellnhuber, Will Steffen, & Timothy M. Lenton) rattachés notamment à l’université de Cambridge et au MIT, estiment que le changement climatique peut aller jusqu’à générer l’effondrement de la société voire même l’extinction et que la plupart des études n’examinent pas ces sujets de façon sérieuse.

Ces auteurs considèrent que les crises mondiales ont tendance à se produire par le biais de telles « défaillances synchrones » qui se renforcent et se propagent à travers les pays et les systèmes, comme ce fut le cas dans le cas de la crise financière mondiale de 2007-2008. Il est plausible qu’un changement soudain de climat puisse déclencher des défaillances systémiques qui déstabilisent les sociétés du monde entier. Les sociétés humaines présentent des vulnérabilités aux cascades de risques déclenchées par le changement climatique, comme les conflits (y compris nucléaires), l’instabilité politique et les risques financiers systémiques.

Les impacts en cascade et les conséquences extrêmes de la forte hausse des températures sont sous-examinés dans la littérature. Selon ces auteurs, il existe peu d’estimations quantitatives des impacts globaux d’un réchauffement de 3 °C ou plus. Ces auteurs constatent que le GIEC tend à concentrer ses recherches sur les impacts générés par une augmentation de la température de 2 °C ou moins.

Le dérèglement climatique est très certainement le risque existentiel le plus pressant et le plus menaçant auquel l’espèce humaine doit faire face aujourd’hui (Vincent Burnand-Galpin & Paul Jorrion (2021)). Les conflits et rivalité autour des ressources rares ont tendance à augmenter. Dans Géopolitique d’une planète déréglée, Jean-Michel Valantin montre très clairement le lien entre les conflits du Moyen-Orient aujourd’hui et l’anthropocène.

Nouriel Roubini (2022) estime que nous sommes, aujourd’hui, au bord de dix « méga-menaces », susceptibles de générer une profonde instabilité, des conflits et le chaos. Selon cet auteur, la pire crise de la dette que l’humanité n’ait encore connue nous attend, et les solutions potentielles sont limitées ou risquent d’aggraver la situation. L’ampleur de ce défi est exacerbée par d’énormes engagements non financés liés au vieillissement de la population. Les solutions proposées ne feront qu’attiser les divisions et les conflits. Le changement climatique pourrait entraîner une migration massive des pays les plus chauds vers les pays les plus froids. Le changement climatique pourrait entraîner une migration massive des pays les plus chauds vers les pays les plus froids. Et des risques militaires se profilent entre les deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine.

Mora, Dousset, Caldwell et al. (2017) estiment qu’une augmentation moyenne de 4°C à la surface du globe ferait que 47 % de la surface de la Terre terrestre et plus de 74 % de la population seraient exposées à des températures mortelles chaque année contre respectivement 13,6 % et 30,6 % aujourd’hui. Selon Xu & Ramanathan (2017) une augmentation moyenne de la température de 5°C mènerait à un système écologique capable d’assurer la vie à seulement un milliard d’êtres humains.

Si on voulait généraliser à la totalité des êtres humains la manière dont vit aujourd’hui la population des États-Unis, il faudrait six planètes équivalentes à la nôtre, et trois pour que tous les habitants de la planète puissent vivre en jouissant du même niveau de vie que les Français (Global Footprint Network, National Footprint Account).

Si l’humanité veut minimiser toutes ces catastrophes des politiques ambitieuses de lutte contre le dérèglement climatique et la dégradation de l’écologie doivent être mises en place le plus rapidement possible.


4) Il existe plusieurs définitions des concepts de post-croissance et de décroissance

Dans un article de 2021, Jason Hickel, Paul Brockway, Giorgos Kallis, Lorenz Keyßer, Manfred Lenzen, Aljoša Slameršak, Julia Steinberger & Diana Ürge-Vorsatz conseillent aux pays ayant des économies avancées d’adopter des politiques de post-croissance, qui visent à stabiliser l’économie tout en améliorant la situation sociale sans croissance économique.

Dans la littérature sur la décroissance certains auteurs indiquent que la décroissance n’est pas de la récession. C’est le cas notamment d’une étude récente de Jason Hickel, Giorgos Kallis, Tim Jackson, Daniel W. O’Neill, Juliet B. Schor, Julia K. Steinberger, Peter A. Victor & Diana Ürge-Vorsatz (2022). Dans ce cas, post-croissance et décroissance sont des synonymes.

Selon ces auteurs, les économies avancées devraient abandonner l’objectif de croissance du PIB, réduire les formes de production destructives et inutiles afin de diminuer l’utilisation d’énergie et de matériaux, et axer l’activité économique sur la satisfaction des besoins et le bien-être humain. Cette approche peut permettre une décarbonisation rapide et mettre fin à la dégradation de l’environnement tout en améliorant les résultats sur le plan social. Cette approche laisse de l’espace aux pays dans lesquels le PIB est faible ou intermédiaire et la croissance peut s’avérer encore nécessaire afin de permettre à ces pays de se développer. Dans cette optique il est nécessaire :

  • De réduire la production la moins nécessaire. Cela signifie qu’il faut réduire les secteurs destructeurs tels que les combustibles fossiles, la viande et les produits laitiers, la mode rapide, la publicité, les voitures et l’aviation, y compris les jets privés. Dans le même temps, il faut mettre un terme à l’obsolescence programmée des produits, allonger leur durée de vie et de réduire le pouvoir d’achat des plus riches.
  • D’améliorer les services publics. Il convient de garantir l’accès universel aux soins, à l’éducation, au logement, aux transports, à internet, aux énergies renouvelables et aux aliments nutritifs de qualité. Ces services publics universels ne nécessitent pas de forte utilisation des ressources.
  • D’introduire une garantie pour les emplois verts. Cela permettrait de former et de mobiliser la main-d’œuvre autour d’objectifs sociaux et écologiques urgents, tels que l’installation d’énergies renouvelables, l’isolation des bâtiments, la régénération des écosystèmes et l’amélioration des soins sociaux.
  • De réduire le temps de travail. Cela pourrait être en abaissant l’âge de la retraite en encourageant le travail à temps partiel ou en adoptant semaine de quatre jours. Ces mesures permettraient de réduire les émissions de carbone et de libérer du temps permettant aux individus de s’engager dans des activités de soins et d’amélioration du bien-être. Ces mesures permettraient également de stabiliser l’emploi à mesure que la production la moins nécessaire diminue.

Certains pays, régions et villes ont déjà introduit des éléments de ces politiques. De nombreuses nations européennes garantissent la gratuité des soins de santé et de l’éducation. Des villes comme Vienne ou Singapour sont réputées pour la qualité de leurs logements sociaux. Près de 100 villes dans le monde proposent la gratuité des transports publics. Des systèmes de garantie de l’emploi ont existé par le passé, et des expériences de revenu de base et de réduction du temps de travail sont en cours en Finlande, en Suède et en Nouvelle-Zélande.

Dans la littérature sur la décroissance il y a également des auteurs qui estiment que la décroissance doit se traduire par une légère récession dans les pays avancés (voir Fontana & Sawyer, 2022)[2].

D’autres auteurs précisent que la décroissance n’est pas de la récession mais qui font des propositions qui vont inévitablement engendrer de la récession (ceux qui indiquent qu’une baisse de la production et de la consommation sont nécessaires) si un gouvernement décidait de mettre en place de telles mesures.

Timothée Parrique (2022) définit la décroissance comme réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et de bien-être. La décroissance jusqu’où ? Réponse : vers la post-croissance, une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. Toutefois, dans l’équation basique en macroéconomie, la production (Y ou PIB) est égale à la somme de la consommation (C) de l’investissement (I), des dépenses publiques (G), des exportations (X) diminuée des importations (M). La définition de la décroissance de Timothée Parrique n’est donc pas très claire… On ne sait pas s’il parle de, ralentissement, de découplage de la production et de la consommation ou d’une baisse de ces deux variables (ce qui serait alors bien de la récession) …


[2] En général, l’ « école de la décroissance » préconise une croissance du PIB nulle (ou légèrement négative) en particulier dans le monde industrialisé Fontana & Sawyer (2022).

5) Il est nécessaire de jouer sur les deux leviers : la hausse du découplage et la modération de la croissance

L’analyse statistique de la relation entre la variation moyenne des émissions de gaz à effet de serre et du PIB entre 2009 et 2019 suggèrent toutefois qu’il convient de modérer la croissance tout en augmentant le découplage entre PIB et émissions de gaz à effets de serre.

Jason Hickel, Giorgos Kallis, Tim Jackson, Daniel W. O’Neill, Juliet B. Schor, Julia K. Steinberger, Peter A. Victor & Diana Ürge-Vorsatz, (2022), estiment que « L’expérience des pays qui ont dû s’adapter à des conditions de faible croissance – comme Cuba après la chute de l’Union soviétique et le Japon sont également riches d’enseignements. »

L’analyse du Japon montre bien qu’il n’y a quasiment plus de croissance économique. Cependant, les émissions de gaz à effet de serre ne baissent quasiment pas au Japon (seulement -0,2% par an en moyenne sur la période 2009-2019). En Italie, il n’y a plus de croissance non plus et les émissions de gaz à effet de serre baissent plus fortement qu’au Japon (-2,2% par an en moyenne sur la période 2009-2019). Au Danemark et au Royaume-Uni, la croissance du PIB est toujours positive et supérieure à celle du Japon et de l’Italie alors que ces deux pays expérimentent des baisses d’émissions de gaz à effet de serre supérieures (-4,7% pour le Danemark et -2,9% pour le Royaume-Uni par an en moyenne sur la période 2009-2019).

Une simple régression économétrique en données de panel pour un panel de 10 économies avancées (France, Royaume-Uni, Japon, Italie, États-Unis, Allemagne, Canada, Suède, Danemark, Pays-Bas) suggère qu’entre 1990 et 2019, une baisse (hausse) de 1 % de PIB occasionne en moyenne une baisse (hausse) de 0,15 % des émissions de gaz à effet de serre. Selon le Haut Conseil pour le Climat (2022), les émissions territoriales de la France ont diminué de 1,7 % par en moyenne entre 2010 et 2019. Une baisse des émissions de 4,7 % en moyenne sur la période 2022-2030 est nécessaire si la France veut respecter l’objectif fixé par l’Union Européenne de réduire ses émissions nett­es de 55 % en 2030 par rapport à 1990.

Selon une étude réalisée par le cabinet IDH21, l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de -55% en 2030 par rapport aux émissions de 1990 que s’est fixée l’Union Européenne et la  stratégie du Pacte Vert Européen associé, requiert un découplage absolu entre les émissions de gaz à effet de serre et la croissance du PIB dans la durée, c’est-à-dire une croissance du PIB combinée à une réduction significative des émissions. Une littérature scientifique déjà abondante a montré qu’un tel découplage avait été très rarement observé, et même jamais dans le cas de pays avec des économies matures tels que les pays de l’Ouest de l’Europe.

Le cabinet IDH21 analyse en détail les raisons de cette absence de découplage avec les cas spécifiques de l’Union Européenne des 28, et des 10 pays les plus émetteurs en faisant partie, en se concentrant sur 3 périodes temporelles spécifiques : 1990-2006, 2007-2014 et 2015-2018. Ce découpage permet de montrer que seule la période 2007-2014 présente une diminution significative des émissions de CO2. Cette diminution sur 8 ans représente plus de 80% de la diminution des émissions depuis 1990. Cette période correspond également à la période avec la croissance du PIB la plus faible.

L’analyse du cabinet IDH21 montre que la croissance du PIB par habitant joue un rôle de frein sur la réduction des émissions entrainée par les réductions de l’intensité énergétique du PIB et du contenu en CO2 de l’énergie. Ces 2 facteurs ont aujourd’hui un impact trop faible pour permettre d’atteindre l’objectif fixé pour 2030, impact d’autant plus amoindri dès que la croissance du PIB dépasse 1%. Il faudrait concrètement que l’impact sur la diminution des émissions de CO2 de l’intensité énergétique du PIB soit multiplié par 3 par rapport à son niveau des 30 dernières années. Alternativement, il faudrait que l’impact sur la diminution des émissions de CO2 du contenu en CO2 de l’énergie soit multiplié par 4.

L’ensemble des résultats présentés dans cette étude mettent en doute la stratégie actuellement appliquée par l’Union Européenne, et nécessite de revoir plus en profondeur notre système socio-économique. C’est aujourd’hui la condition nécessaire à l’atteinte d’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui permettrait d’espérer maintenir le réchauffement climatique en dessous de +2°C.


6) L’économie peut être stable avec une variation du PIB égale à zéro

Plusieurs auteurs se sont intéressés à la stabilité d’une économie caractérisée par une croissance nulle dans laquelle le taux d’intérêt resterait positif. Il existe plusieurs modèles qui permettent de répondre à cette question avec des réponses à la fois positives (Berg et al., 2015, Jackson & Victor, 2015, Rosenbaum, 2015, Cahen-Fourot & Lavoie, 2016) et négatives (Binswanger, 2009). L’économie est considérée comme stable s’il existe un équilibre robuste à de petits chocs et des caractéristiques économiquement souhaitables, à savoir des niveaux de profits et de salaires équilibrés, et un faible taux de chômage (Richters & Siemoneit, 2017).

Adam Barrett (2018) s’inspire du modèle de Keen qui repose sur l’hypothèse d’instabilité financière de Minsky. L’analyse se concentre sur la dynamique plutôt que sur l’équilibre, et des scénarios de croissance et de croissance nulle de la production (PIB) sont obtenus en modifiant un paramètre d’entrée de croissance de la productivité. Avec ou sans croissance, il peut y avoir des scénarios qui sont stables et d’autres instables. Pour que l’économie reste stable, les entreprises ne doivent pas modifier trop rapidement leur niveau d’endettement ou leur niveau d’endettement cible. La part des salaires est plus élevée dans les scénarios de croissance nulle, bien que les baisses substantielles d’emploi soient plus fréquentes.

Eckehard Rosenbaum (2015) examine les conditions dans lesquelles une croissance du PIB égale à zéro est possible en s’appuyant sur le modèle de Kalecki (modèle post-keynésien). Lorsque la croissance est déterminée par les profits, des profits plus élevés entraînent des taux de croissance plus élevés et, inversement, des profits plus faibles entraînent des taux de croissance plus faibles.

Lorsque la croissance est déterminée par les salaires, des bénéfices plus élevés entraînent des taux de croissance plus faibles et, inversement, des bénéfices plus faibles entraînent des taux de croissance plus élevés. Il est possible de stabiliser une économie déterminée par les salaires avec une variation du PIB égale à zéro. Le progrès technologique permet d’économiser de la main-d’œuvre, la demande de main-d’œuvre diminue en fait en l’absence de croissance en raison du remplacement progressif du stock de capital existant par des machines à moindre intensité de main-d’œuvre. La question de la redistribution du travail (et donc des revenus) est cruciale si l’on veut que la croissance faible ou nulle reste socialement et économiquement viable

Fontana & Sawyer (2015), il est possible d’atteindre des niveaux d’emploi élevés même en l’absence de croissance en réduisant le nombre moyen d’heures de travail, en déplaçant l’emploi vers des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et/ou en réorientant le changement technologique pour augmenter la productivité des ressources plutôt que celle du travail.

Fontana & Sawyer (2022), examinent les conditions dans lesquelles le passage à une économie à croissance nulle dans les économies avancées est possible en utilisant une analyse postkeynésienne. Cela impliquerait une restructuration majeure de l’économie.  Il convient pour cela de trouver des moyens d’aboutir un investissement net nul, notamment en limitant le crédit et en restreignant les investissements des entreprises.

Dans leur analyse, le taux de profit et le taux de croissance sont liés, pour aboutir à une croissance nulle, il faut qu’il y ait un faible taux de profit. Avec un investissement net proche de zéro, un déficit budgétaire serait nécessaire pour assurer la pleine utilisation des capacités, dans des conditions d’épargne positive. Le plein emploi de la main-d’œuvre nécessiterait également une capacité de production suffisante. Un ajustement du temps de travail peut s’avérer nécessaire pour maintenir le plein emploi.

7) Les solutions menant à la récession présentent de nombreux inconvénients susceptibles d’empêcher la résolution de la crise écologique et climatique

La croissance verte pourrait conduire à la récession mais c’est également le cas des solutions proposées par plusieurs auteurs qui critiquent le modèle de croissance verte.

Avec une variation du PIB négative (donc une récession), il semble très difficile de maintenir des taux d’emplois élevés sauf en baissant fortement la durée du travail ce qui est difficile (or on ne peut pas la baisser indéfiniment) et même en se répartissant mieux la valeur.

Il faudrait des transferts de richesses conséquents et la récession mettrait sous tension les finances publiques et occasionnerait d’importants problèmes au niveau des dettes publiques et privées. Les systèmes sociaux (comme les retraites) seraient difficilement soutenable si le PIB devait baisser pendant plusieurs années. Une baisse du PIB qui durerait plusieurs années entrainerait des faillites et des dépôts de bilans et aurait ainsi pour conséquence inexorable une hausse du chômage.

En France, la baisse de la croissance rend le système des retraites plus difficilement soutenable. Selon les estimations du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), avec la convention Équilibre Permanent des Régimes, le solde du système de retraite resterait négatif à moyen terme dans l’ensemble des scénarios et ne reviendrait progressivement positif que dans le scénario dans lequel la croissance du PIB est de 1,6 %. Le système de retraite resterait durablement en besoin de financement dans les autres scénarios (de -1,9 % du PIB dans le scénario avec une croissance du PIB de 0,7 % et -0,4 % dans le scénario avec une croissance du PIB de 1,3 %). Avec la convention Équilibre Permanent des Régimes, le système de retraite reviendrait progressivement à l’équilibre dans trois scénarios sur quatre. Le solde varierait entre -0,7 % (scénario avec une croissance du PIB de 0,7 %) et 1,5 % (scénario avec une croissance du PIB de 1,6 %) du PIB en 2070.

L’autre gros défaut de la récession c’est qu’elle réduit considérablement les capacités d’investissement dans des technologies bas-carbone. Les investissements publics et privés pour le climat doivent considérablement augmenter. Or, lorsque le PIB se contracte les investisseurs qui anticipent un futur morose réduisent leurs investissements. L’État peut alors venir à la rescousse des investisseurs et du secteur privé comme le recommandait John Maynard Keynes mais dans le contexte macro-économique dans lequel nous sommes une récession qui durerait plusieurs années limitera les capacités de l’État à venir à la rescousse du secteur privé et nous entrainera dans une situation très difficile. En France, les expertises se multiplient à propos des investissements de la transition énergétique (Hainaut (2023)). À la lecture des rapports, il faut certes investir plus pour réduire les émissions du pays, mais les chiffres mis en avant par les experts divergent : 22 milliards d’euros de plus chaque année d’après la dernière évaluation du Panorama d’I4CE ; 57 milliards d’euros d’après l’Institut Rousseau ; de 58 à 80 milliards d’après l’institut Rexecode ; 100 milliards dans une évaluation par l’ADEME et le CGDD ; et à peu près autant dans une étude de l’INSEE parue en 2020.

8) Conclusion : Les économies avancées vont très probablement devoir piloter l’économie sans croissance ce qui soulève néanmoins de nombreux challenges

Aujourd’hui, la solution la plus à même de résoudre la crise climatique est probablement la décroissance qui n’est pas de la récession et qui est donc de la post-croissance comme celle défendue dans l’article de Jason Hickel, Giorgos Kallis, Tim Jackson, Daniel W. O’Neill, Juliet B. Schor, Julia K. Steinberger, Peter A. Victor & Diana Ürge (2022). Il existe plusieurs définitions des concepts de décroissance et post-croissance. Ces deux termes sont parfois synonymes. Parfois, la vision de la décroissance défendue par certains auteurs entrainerait (si elle était mise en œuvre) une récession. Il est peu probable que la population puisse accepter une décroissance qui se traduirait par une récession de longue durée, au regard des conséquences sociales qu’elle entraînerait. Par ailleurs la récession réduirait considérablement la capacité à des États à investir dans la transition vers une économie bas-carbone. Les pays avancés devront de grès ou de force piloter l’économie avec une croissance faible égale ou proche de zéro. Passer d’un système financé par la croissance du PIB à un système dans lequel le PIB serait à peu près stable soulève de nombreux défis.

La baisse de la croissance rend plus difficile la possibilité d’atteindre des niveaux d’emploi élevés même si certaines études suggèrent que cela pourrait être possible. La baisse du temps de travail peut permettre de maintenir l’emploi lorsque la croissance baisse mais ce levier ne peut être utilisé indéfiniment. Il existe un débat entre économistes sur l’impact de l’innovation et de l’intelligence artificielle sur l’emploi. Certains auteurs estiment que les créations d’emplois viendront compenser les destructions d’emplois, tandis, que d’autres estiment que l’intelligence artificielle et l’innovation vont irrémédiablement avoir une incidence négative sur l’emploi.

Dans le système actuel et en raison de la loi d’Okun, une baisse du PIB se traduit par une hausse du chômage. Lorsque la production augmente, le chômage diminue mais pas dans les mêmes proportions en raison de l’évolution de la productivité du travail. Cette relation a notamment été mise en exergue par l’économiste keynésien Arthur Okun. Selon la loi d’Okun (1962), il existe un seuil au-dessus de croissance duquel le chômage diminue et en dessous duquel le chômage, le chômage augmente. Le coefficient d’Okun permet de savoir si l’économie réagira rapidement à une hausse de la croissance. Bien que ce coefficient se soit nettement amélioré dans plusieurs pays occidentaux ces dernières années, une très faible croissance se traduit encore, dans le système actuel, par une hausse du chômage.

En 1929, John Maynard Keynes prédisait que la diffusion rapide des technologies d’automatisation entraînerait le chômage technologique. Vincent Burnand-Galpin & Paul Jorrion (2021) estiment que le taux d’emploi se raréfie irrémédiablement. Le taux d’emploi a baissé de 8,1 %, passant de 72,4 % en 1949 à 64,3 % en 2018. Ce qui signifie que l’emploi n’a pas augmenté aussi vite que la population.  Claude Thélot et Olivier Marchand dans Le Travail en France 1800 – 2000 (1997), montrent qu’en 1800 les Français travaillaient 3000 heures par an, et que ce chiffre est passé à 1500 heures par an dans les années 2000. Un rapport publié en 2017 par le McKinsey Global Institute « Jobs lost, gained : what the future of jobs will mean for jobs, skills and wages » affirme que grâce aux technologies d’aujourd’hui, 50 % de la main d’œuvre actuelle est automatisable.

La puissance incomparable de la révolution technologique en cours est susceptible de mettre un coût d’arrêt aux mécanismes décrits dans la théorie du déversement selon Vincent Burnand-Galpin & Paul Jorrion (2021). Avec l’intelligence artificielle, ce sont des professions qui demandaient une très grande spécialisation, comme les médecins spécialistes, les avocats qui vont être remplacés. Il faudra donc trouver des solutions permettant de mieux se répartir le travail.

Des politiques doivent être mises en place pour réduire les inégalités dans un contexte de baisse de la croissance ou de croissance nulle. Selon le Rapport sur les inégalités mondiales (2022), coordonné par Lucas Chancel, avec Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, les 1 % les plus riches émettent autant de gaz à effet de serre que les 50 % les plus pauvres de la planète.

Lorsque la productivité du travail stagne, la masse salariale relative augmente et les marges des entreprises sont comprimées (Tim Jackson (2021)). Les salaires, les prix à la consommation et les investissements entrent en concurrence les uns avec les autres. La question cruciale est de savoir comment la politique doit réagir à cette réalité pas si nouvelle. Au cours des dernières décennies, le capitalisme a eu une réponse très spécifique. Confrontés à une baisse des rendements, les producteurs et les actionnaires ont systématiquement protégé les profits en réduisant la rémunération du travail. Les gouvernements ont encouragé ce processus par une politique monétaire laxiste, une mauvaise surveillance réglementaire et de l’austérité fiscale. Le résultat de ces politiques a conduit de nombreux travailleurs à voir leurs salaires baisser ou stagner. La société s’est polarisée et la détérioration de la situation sociale constitue aujourd’hui une menace pour la stabilité de la démocratie et accroit la probabilité d’un effondrement de l’humanité. Enfin, la baisse de la croissance rend nécessaire de repenser la politique budgétaire des États.

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